Relazione francese – Firenze, 11 ottobre 2019
La participation des citoyens au processus de décision dans l’administration et les conséquences sur les rapports juge administratif/administration
Depuis une trentaine d’années, le modèle hiérarchique de l’action publique qui a prévalu en France, qui a été un pays très centralisé, est critiqué. L’objectif a été de démocratiser l’administration publique et le processus de décision publique. La notion de démocratie participative a alors émergé, qui a pour objectif de compléter la démocratie représentative traditionnelle. Cependant, ce type de démocratie est très exigeant car il oblige en permanence le pouvoir à s’expliquer, à rendre des comptes et à informer. Il contient des risques importants pour les acteurs, tels que le temps exigé pour organiser la participation, l’effort à consentir pour vulgariser l’information, la perte de contrôle sur l’enjeu discuté.
A été également développée la notion de démocratie délibérative, qui est une forme édulcorée de la démocratie participative : on considère alors que c’est l’existence d’un processus de délibération et de discussion qui est essentiel. D’où l’accent mis sur les procédures qui organisent la délibération.
Donc la France a par le passé eu pratiquement uniquement recours au modèle hiérarchique. Actuellement, c’est du modèle de la démocratie délibérative dont elle s’inspire dans certaines procédures, relatives à l’aménagement du territoire et l’urbanisme, puis plus récemment, l’environnement.
Pourquoi ce besoin d’évolution et d’introduction de la participation citoyenne dans la prise de décision ? A cause sans doute des limites ressenties de la démocratie représentative. On peut relever dans ce sens le désintérêt pour les élections, des majorités de 51% seulement qui ne suffisent pas à justifier une politique, alors que la question qui se pose à tout gouvernement et qui devient de plus en plus centrale est celle de la cohésion sociale. C’est dans cette perspective de recherche de cohésion que s’inscrivent les procédures visant à faire participer les citoyens au processus de décision de l’administration.
Quelles formes revêt la démocratie participative ? La participation à une décision peut prendre la forme d’une consultation, d’une concertation, d’une co-élaboration ou d’un référendum, j’y reviendrai dans la suite de mon exposé.
Je vais décrire les deux modes historiques d’association des citoyens à la prise de décision en France, l’enquête publique qui est la procédure la plus ancienne de consultation du public, et les procédures de concertation préalable dépendant de la commission du débat public, le débat public proprement dit et la concertation préalable avec garants, plus récents, en analyser les limites ou les insuffisances, et enfin donner des indications sur des alternatives éventuelles. Ces deux modes de participation (enquêtes publiques et débats publics) concernent les domaines de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire, et le domaine de l’environnement. D’autres formes de participation se sont développées récemment, j’en dirait un mot également, mais elles restent encore marginales jusqu’à présent.
- DESCRIPTION
La concertation en amont du processus de décision : elle relève de la commission du débat public, il s’agit du débat public proprement dit, et de la concertation avec garant
On est uniquement du domaine de l’environnement. C’est une loi de 1995, dite loi Barnier, qui instaure le débat public en France. Il s’agit d’un processus spécifique, de procédures de concertation qui interviennent alors que l’opportunité d’un projet est encore en débat, qu’il n’est donc pas encore arrêté, et qu’aucune décision n’est encore prise.
Le débat public
La commission nationale du débat public a vu depuis 1995 ses compétences diversifiées et renforcées, en 2002, 2016 et 2018 dans la perspective de se mettre en conformité avec les dispositions de la convention d’Aarhus. Il s’agit d’une instance collégiale de 25 membres. Lorsque le coût d’un projet d’aménagement ou d’équipement se situe au-delà d’un certain seuil, défini par décret, la saisine de la commission est obligatoire pour le maître d’ouvrage. Il s’agit des plans et programme nationaux, il y en a une dizaine au total. Par exemple création d’autoroutes, de routes à 2 x 2 voies à chaussées séparées , de lignes ferroviaires, de pistes d’aérodromes, d’infrastructures portuaires, de lignes électriques, de gazoducs ou d’oléoducs, d’installations nucléaires, de barrages, d’équipements industriels. Lorsqu’elle est saisie, la CNDP dispose d’un délai de 2 mois pour décider ou non d’organiser un débat public. En cas de décision positive, elle met en place une commission particulière du débat public.
En deçà de ce seuil mais au-dessus d’un seuil plancher (qui est de plus de 5 M € de crédits publics), la saisine de la commission est facultative, c’est le maître d’ouvrage qui décide ou non de sa saisine. Il y a alors une procédure de concertation qui se met en place. Cette concertation n’est pas directement mise en œuvre par la commission mais par des garants qu’elle désigne.
Troisième possibilité : Le Gouvernement peut également saisir la commission d’un projet de réforme d’une politique publique qui a un effet important sur l’environnement ou l’aménagement du territoire. Par exemple, la première saisine de ce type a concerné la programmation pluriannuelle de l’énergie. On peut également citer le plan de gestion des déchets nucléaires.
De plus, un droit d’initiative a été créé qui permet à 10 000 ressortissants de l’Union Européenne résidant en France de saisir la commission pour un grand projet (>150 M €), ou 500 000 ressortissants de l’Union Européenne résidant en France pour un projet de réforme d’une politique publique, ou 60 parlementaires également pour un projet de réforme d’une politique publique.
En 2018 par exemple il y a eu 4 débats publics, (une petite centaine depuis 1995) càd concernant les projets ayant un impact national, il s’est agi de la création de nouveaux bassins du port de Dunkerque, des aménagements du noeud ferroviaire lyonnais, d’un projet d’aménagement routier dans l’ile de la Réunion, et du projet de mine d’or en Guyanne. Il y a eu aussi 90 concertations préalables avec garant ou post débat public.
En quoi consiste le débat public ? Il ne s’agit pas pour la CNDP de se prononcer sur le fond des projets qui lui sont soumis, mais de veiller au respect de la participation du public au processus d’élaboration des projets. Elle veille au respect de bonnes conditions d’information du public, elle conseille les maîtres d’ouvrage à leur demande sur les questions relatives à la concertation avec le public. Le débat porte notamment sur l’opportunité, les caractéristiques et les objectifs du projet, les modalités d’information et de participation du public post débat. Le maître d’ouvrage dispose d’un délai de 6 mois pour établir le dossier de débat et proposer des modalités d’organisation. Le débat se déroule pendant 4 mois, avec possibilité de prolongation de 2 mois ; à l’issue du débat, la commission particulière rédige un compte rendu, un bilan est également rédigé, et le maître d’ouvrage prend une décision motivée, indiquant le principe et les conditions de poursuite du projet. Après le débat et jusqu’à la phase d’enquête publique, la CNDP s’assure des bonnes conditions d’information et de participation du public, sous l’égide d’un garant.
Exemple récent: création d’un nouveau terminal portuaire à Dunkerque. Coût estimé de l’opération : entre 690 et 830 M€. La CNDP a été saisie en octobre 2016, la décision d’organiser un débat public date de décembre, le dossier du maître d’ouvrage, qui servira de support au débat public a été approuvé en juillet 2017, le débat a eu lieu du 18 septembre au 22 décembre 2017. Le compte rendu a été publié le 22 février 2018, et la décision du maître d’ouvrage est intervenue le 16 mars 2018.
Il y a eu 71 rencontres avec le public, 2 200 participants, 4 réunions publiques générales, 42 ateliers et auditions, 25 débats mobiles. Il y a eu 20 points de distribution de tracts, 3000 dossiers du maître d’ouvrage ont été distribués, 4600 synthèses de ce dossier, et 20 000 dépliants du débat public. On a compté 6050 connexions uniques sur le site du débat, 2700 avis écrits, 103 questions écrites, 25 commentaires, 253 abonnés facebook et 201 abonnés tweeter, le coût du débat a été de 649 390€.
Les concertations avec garant
Pour faire bref, le garant remplit la même fonction qu’une commission particulière du débat public, mais dans un cadre plus informel et moins contraignant : Je rappelle qu’il s’agit d’une saisine facultative pour le maître d’ouvrage, et que la CNDP décide de nommer ou non un ou plusieurs garants. L’objectif du garant est de veiller au respect des principes découlant du droit à l’information et à la participation du public. Il proposera par exemple des évolutions de son dossier au maître d’ouvrage pour compléter ou rendre plus lisible le dossier de son projet, il devra s’assurer que l’expression de tous soit assurée, et que tous les arguments sont pris en compte. Mais le maître d’ouvrage n’a pas l’obligation de suivre ces prescriptions.
A titre d’exemple de concertation en 2018 on peut citer le projet de nouveau terminal à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle : 4 garants ont été désignés. Une des questions essentielles à résoudre pour eux a été de clarifier le périmètre de la concertation : le nombre de communes initialement couvertes par la concertation a été multiplié par trois à leur initiative.
Voilà les grands traits de la concertation préalable aux grands projets en France.
Je n’oublie pas que le thème de ce colloque portait également sur les rapports juge administratif/administration, dans le cadre de la participation du public aux décisions administratives. Le problème est qu’il n’y a finalement pas grand-chose à en dire ! En effet, il s’agit à chaque fois de procédures donnant lieu à des avis non contraignants, et ne donnant par conséquent pas lieu ou guère lieu à un contrôle du juge : il y a eu une vingtaine de recours depuis 1995 concernant des décisions de la CNDP. Ils ont permis de déterminer quelles décisions de la commission pouvaient faire l’objet d’un recours : C’est oui pour la décision de la CNDP d’organiser ou de ne pas organiser un débat public (décision du CE du 17 mai 2002 – association nature et environnement annulant une décision par laquelle la CNDP avait rejeté une demande d’organisation d’un débat public). C’et non pour les recours contre les mesures adoptées par la CNDP pour déterminer les modalités du déroulement du débat, par exemple refus de donner suite à une demande d’expertise complémentaire (CE 14 juin 2002 association pour garantir l’intégrité rurale restante) ou encore rejet d’une demande de report ou d’interruption du débat public (CE 5 avril 2004 association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre Dame des Landes), refus d’organiser une réunion de synthèse. Les recours ont également porté sur la saisine de la CNDP : le CE a précisé qu’elle n’avait pas de capacité d’autosaisine (13 décembre 2002 – association pour la sauvegarde de l’environnement et la promotion de Saint Léger en Bray). Sur le dossier de saisine, le CE a rappelé que la commission devait, pour décider de l’organisation ou non d’un débat, s’appuyer uniquement sur les éléments figurant dans le dossier qui lui est soumis, par exemple le coût du projet (28 décembre 2005 syndicat d’agglomération nouvelle ouest-Provence), le périmètre de sa saisine.
On le voit, il s’agit d’une jurisprudence relativement peu abondante, interprétant toujours les textes de façon restrictive. Une seule décision de refus d’organiser un débat public a été annulée
La concertation dite « aval » : l’enquête publique
C’est la plus ancienne procédure de consultation existant en France.
Avant l’intervention de la loi du 12 juillet 2010, le ministère chargé de l’écologie avait recensé quelque 180 types d’enquête publique qui obéissaient à des régimes juridiques plus ou moins différents. Avec la loi portant engagement national pour l’environnement dite “loi Grenelle II », adoptée le 12 juillet 2010 ne subsistent que deux grandes catégories d’enquêtes, celles qui relèvent de la procédure du code de l’environnement , et celles qui relèvent de la procédure du code de l’expropriation (appelées également de droit commun).
Les enquêtes publiques interviennent lorsque le projet est arrêté, le cas échéant après débat public ou concertation préalable.
Les enquêtes imposées par « le code de l’environnement ».
Elles sont dites « enquêtes environnementales ». Elles concernent principalement les travaux d’investissement routier, les installations classées, les constructions d’immeuble à usage d’habitation ou encore la création d’équipements culturels, sportifs ou de loisirs…
D’autres opérations, en matière d’urbanisme cette fois, doivent également respecter la réglementation de l’enquête environnementale comme par exemple : les projets de Plan Local d’Urbanisme (PLU) ou les Plans d’Aménagement de Zone (PAZ) …
Les enquêtes de droit commun
Elles concernent, par exemple, les enquêtes de déclaration d’utilité publique, les enquêtes relevant de la loi sur l’eau, les enquêtes en vue d’expropriation ou encore les enquêtes visant un plan de protection de risque naturel.
La durée d’une enquête publique ne peut être inférieure à un mois ni excéder deux mois.
Elle dure donc généralement un mois ; elle peut néanmoins bénéficier d’un délai supplémentaire de 15 jours sur demande du commissaire enquêteur.
Le rôle d’une Enquête Publique
L’enquête publique vise à
– informer le public sur la création de ces projets à venir.
– permettre à tout citoyen de s’exprimer en recueillant ses observations et ses remarques sur un registre.
– réunir toutes les informations nécessaires à la connaissance de l’autorité compétente pour sa prise de décision.
L’enquête publique est conduite par un commissaire enquêteur indépendant et impartial, nommé par le président du tribunal administratif, ou par une commission d’enquête. Il est chargé du bon déroulement de la procédure et établit un rapport dans lequel il relate le déroulement de l’enquête er fait part de ses conclusions qui doivent être motivées et qui peuvent être favorables, favorables avec réserves ou défavorables au projet.
Lorsque le commissaire-enquêteur assortit son avis d’une ou plusieurs réserves et qu’il s’avère que l’une au moins de ces réserves n’a pas été levée, son avis est alors regardé comme étant défavorable (CE 13 juillet 2007, société carrières et matériaux, rec. p. 972 ; CE 19 mars 2008, ministre des transports, rec. p. 852-973).
Cet avis ne s’impose toutefois pas à l’autorité compétente qui peut passer outre à un avis défavorable, sous certaines conditions.
- Ainsi, en matière d’enquête publique environnementale, il oblige l’organe délibérant de la collectivité portant le projet à prendre une délibération motivée réitérant la demande d’autorisation ou de déclaration d’utilité publique. On trouve une disposition similaire en matière d’expropriation.
A l’issue de l’enquête publique, l’autorité compétente prend une décision, qui peut faire l’objet d’un recours. Et à cette occasion, le processus de déroulement de l’enquête publique peut être attaqué : nombre insuffisant de réunions, publicité insuffisante, insuffisance du dossier soumis à l’enquête publique, ainsi que par exemple l’absence de motivation des conclusions du commissaire enquêteur, ou encore l’absence de réponse du commissaire enquêteur à certaines observations. Ces irrégularités de l’enquête publique, si elles sont suffisamment importantes pour avoir faussé le débat, entraînent l’annulation de la décision finale d’autorisation du projet.
- Bilan
En ce qui concerne le débat public :
Il est indéniable que le débat public présente une utilité : sur environ 130 projets qui ont fait l’objet d’une concertation, plus d’une dizaine ont été abandonnés, d’autres ont été modifiés, ou significativement remaniés.
Mais la CNDP et la procédure de débat public font l’objet de critiques récurrentes : on reproche à la CNDP de se borner à publier un bilan du débat public, sans donner un avis, on relève que les résultats obtenus sont infimes par rapport au coût de l’institution, que cette commission n’est pas représentative, et pour résumer, que le débat public est un artifice de démocratie. Et il est régulièrement question de la suppression de cette institution.
Une première difficulté est liée à au manque de culture participative des administrations et du public : les débats sont souvent très émotionnels et suscitent peu de propositions constructives, ou bien sont le miroir de l’inertie des participants. Toutefois, il faut constater que les débats organisés par la CNDP ont fait office d’apprentissage. Ils ont notamment permis aux participants, sous l’influence des associations, de dépasser le syndrome dit NIMBY pour bâtir une opposition constructive et structurée.
Une deuxième difficulté tient au moment de la concertation : certes, au stade de la concertation préalable, on est censé discuter encore de l’opportunité du projet, mais dans les faits, compte tenu de la longueur et de la complexité des processus de décision en termes politiques, d’expertises de faisabilité, de programmation et d’arbitrages budgétaires, qui prennent plusieurs années, on peut dire que lorsqu’on arrive à la phase de concertation, la décision de principe est déjà prise.
Troisième difficulté : réussir à toucher et faire participer un public qui ne se sent habituellement pas concerné ou en tout cas pas en mesure de s’exprimer. Notamment, en l’absence d’études de tracé, tout un pan de la population peut ne pas se sentir concerné.
Quatrième difficulté : la retranscription des débats à qui on reproche d’édulcorer ou de minimiser les oppositions, sans aucun contrôle : on a pu parler à ce propos d’une logique d ’évacuation du débat : on s’attache à montrer que le débat a eu lieu, et on souligne l’importance du public touché en termes quantitatifs, sans s’attarder sur le contenu du débat.
En ce qui concerne les enquêtes publiques
Les critiques récurrentes tiennent à la façon dont elles sont menées, par des commissaires enquêteurs, qui sont souvent des anciens fonctionnaires retraités, (militaires, gendarmes, agents des services de l’environnement), à qui on reproche d’une part un manque de compétences dans les matières de l’environnement., d’autre part une propension à considérer la puissance publique, et donc les projets qui en émanent, comme légitimes Ensuite, on reproche à l’enquête publique son absence de pouvoir contraignant. De fait, sur 5 000 enquêtes organisées chaque année en France, seulement 3 à 4% recueillent un avis défavorable. On lui reproche son coût : 5 à 6 000 € en moyenne. On lui reproche enfin de ralentir les projets.
Notre Dame des Landes
Un exemple vient résumer les ambiguïtés de la consultation du public à la française : il s’agit du projet d’aéroport du Grand Ouest, emblématique jusqu’à la caricature.
Il s’agit d’une opération lancée en 1963 et abandonnée en 2018, consistant à transférer l’aéroport de Nantes, dont on prévoyait la saturation, vers un site au nord-ouest de la ville. C’est à partir de 1972 que l’opposition au projet s’est organisée. Le projet a été mis en sommeil après la crise pétrolière de 1973 et 1979. Il a été relancé en 2000. Un débat public, organisé par la CNDP, a lieu du 15 décembre 2002 au 28 mai 2003. Le compte rendu et le bilan de ce débat ont été rendus publics en juillet 2003.
A la suite de cette concertation préalable, le projet étant cette fois suffisamment avancé, une enquête d’utilité publique qui s’est déroulée fin 2006 qui a donné lieu à un avis favorable de la commission d’enquête le 13 avril 2007. Le décret de déclaration d’utilité publique du projet est publié le 10 février 2008, il s’agit de la décision autorisant le projet.
Plusieurs recours en annulation contre cette DUP sont engagés, et le CE a confirmé à 3 reprises l’utilité publique de l’aéroport en 2009, en 2010, puis en 2013.
Les opposants au projet ont occupé depuis 2009 les terrains destinés au futur aéroport. Ils contestent et perturbent violemment la nouvelle commission d’enquête publique constituée en vue d’autoriser les aménagements fonciers liés au projet d’aéroport. Des opérations d’évacuation des terrains occupés commencent.
Cinq nouvelles enquêtes publiques sont lancées en 2012 concernant les autorisations de travaux d’aménagement. Les avis des commissions d’enquête sont tous favorables. Des arrêtés d’autorisation de travaux sont pris en décembre 2013. Ils sont attaqués devant le tribunal administratif, puis devant la cour d’appel : les recours sont rejetés de même que les recours contre les décisions d’expulsion devant le TGI.
L’affaire prend alors vraiment une ampleur nationale. C’est pourquoi en novembre 2012, le gouvernement suspend les expulsions et nomme ce qu’il a appelé une commission du dialogue, procédure ne répondant à aucun texte, qui conclut en avril 2013 à l’utilité publique du projet. Durant l’année 2013, les occupations se multiplient et de nombreux projets agricoles alternatifs voient le jour. Le 22 février, plusieurs dizaines de milliers de manifestants, appuyés par quelque 500 tracteurs, défilent dans le centre de Nantes. De violents incidents ponctuent la manifestation. La justice valide l’expulsion des agriculteurs et riverains vivant sur le site de l’aéroport. La contestation ne faiblit pas.
Début 2016 intervient une innovation : le gouvernement annonce un référendum local sur le projet : c’est une première, car une telle procédure n’existe pas : il n’existe qu’un référendum national, mais un projet d’aménagement n’entre pas dans son champ d’application, ou la possibilité d’un référendum local, mais là non plus ça n’est pas possible car le projet n’entre pas dans le champ de compétence d’une collectivité territoriale. Qu’à cela ne tienne : une nouvelle procédure est créée : « la consultation locale sur des projets susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement », et un décret ad hoc est publié le 24 avril 2016 : le périmètre choisi est le département de Loire Atlantique. La consultation a lieu le 26 juin 2016, il fallait répondre oui ou non à la question : Etes-vous favorable au projet de transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de N D des Landes ? La réponse est oui, à 55,17% avec un taux de participation de 51,08%. Bien sûr les habitants de Nantes, majoritaires en nombre, ont voté oui, mais ceux des communes concernées ont massivement voté non.
Arrive l’élection du nouveau président de la république et la nomination de Nicolas Hulot, opposant au projet, au ministère de l’environnement. Il nomme une commission de médiateurs, encore une procédure inédite, mais le rapport remis en décembre 2017 ne tranche pas. Enfin, le 17 janvier 2018, le Premier Ministre annonce que le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est abandonné après « 50 ans d’hésitations »
Cette affaire est emblématique de ce qu’il en est réellement des procédures de décision et de consultation de la population : malgré un débat public, plusieurs enquêtes publiques, la mise en place de commissions de consultation ou de médiation (j’en ai cité 2 mais il y en a eu plus), des recours juridictionnels tous rejetés, et même un référendum, selon une procédure inventée spécialement pour l’occasion, le projet a été abandonné par une décision ministérielle face à la persistance et à la violence des oppositions. Mon propos n’est pas de savoir s’il fallait ou non construire ce nouvel aéroport, mais de souligner le décalage qui s’est révélé entre les multiples procédures de consultation et de concertation mises en place pour aboutir à des décisions, et entre les très nombreuses décisions de justice, qui sont toutes allées dans le même sens, et la décision finale qui a été une décision politique, prise face à la violence et à la détermination des opposants.
- Quelles solutions ?
En premier lieu, il fait savoir qu’il existe un fort courant de remise en cause de ces procédures de concertation : l’existence de la CNDP, au moins dans la forme actuelle, est contestée, le périmètre des enquêtes publiques s’est fortement rétréci : Il y avait 14 000 enquêtes par an dans les années 1990, il y en a 5 000 aujourd’hui : le champ des enquêtes est de plus en plus retreint, c’est-à-dire que de nombreuses décisions ne sont plus soumises à enquête publique. Par exemple, pour les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), c’est-à-dire les installations industrielles ou agricoles nécessitant une autorisation, 50% des installations d’élevage ne sont plus soumises à une enquête. Il en va de même de la création des plans d’eau ou des barrages, où l’obligation systématique de procéder à une enquête publique a disparu. Et dans certains cas, la durée de l’enquête publique a été réduite à 15 jours. Enfin une expérimentation vient d’être mise en place à l’été 2018 (loi ESSOC) dans deux régions pour remplacer pour les installations classées et les installations relevant de la loi sur l’eau l’enquête publique avec nomination d’un commissaire enquêteur et rédaction d’un rapport et de conclusions, par une simple consultation électronique avec désignation d’un garant, c’est-à-dire sans plus de prise de position sur le projet.
Par ailleurs, une polémique récente a mis en cause le rôle des commissaires enquêteurs, dans un projet pour lequel ils avaient donné un avis défavorable, le préfet du département ayant accusé le président de la commission d’enquête et la commission d’enquête d’avoir outrepassé leurs attributions en menant des investigations inappropriées. Le préfet a obtenu la radiation du commissaire enquêteur président de la commission d’enquête. Auparavant, le maitre d’ouvrage, qui est le président du conseil départemental, avait demandé en vain au président du TA de retirer le commissaire enquêteur estimé indésirable de l’enquête. Il a également fait un recours contre l’ordonnance de taxe qui allouait des indemnités de vacation à ce commissaire enquêteur, en exposant que le temps passé à diverses investigations était inutile. Mais le TA de Lyon a rejeté ce recours, validant ainsi les investigations menées par la commission d’enquête et son président.
Cette affaire qui a suscité un tollé dans le monde des commissaires enquêteurs, est symptomatique de l’agacement des autorités publiques face à des procédures qui allongent les délais de réalisation des projets, et remettent en cause, même si c’est peu fréquent, les projets qu’ils entendent mener à bien.
Alors, quelles solutions ?
On comprend aisément que le rôle du juge administratif est marginalisé : soit il rétablit le droit lorsque l’atteinte qui lui est portée est trop flagrante, comme dans l’exemple précédent, soit il est tenu par précisément l’état du droit, dont il donne une interprétation plutôt restrictive. C’est donc sur cet état du droit qu’il convient de s’interroger, et plus précisément sur le caractère facultatif ou purement consultatif des avis donnés, et sur le caractère inachevé de la consultation qi caractérise un système de démocratie délibérative. Puisque c’est la cohésion sociale qui est recherchée, il conviendrait sans aucun doute de parvenir à un système de co-élaboration ou de co-production des décisions, c’est-à-dire à un système de démocratie participative.
Cela existe parfois à l’échelon local, communal, par exemple pour l’élaboration de ce que l’on appelle les budgets participatifs. On peut citer la ville de Kingersheim dans la banlieue de Mulhouse, où le maire a institué des conseils participatifs pour toutes les grandes décisions de la commune. Ils sont composés à 40% de volontaires, de 20% de personnes directement concernées, et de 40% de citoyens tirés au sort.
On peut également citer le référendum local, les jurys citoyens, les conseils de quartier, toutes expériences qui trouvent à se réaliser lorsque l’enjeu est local.
Mais pour le reste, c’est à dire les grands projets, les décisions à impact national, que faire ? Il existe bien ce qu’on appelle le référendum d’initiative partagée, prévu à l’article 11 de la constitution et instauré par la réforme constitutionnelle de 2008, qui associe le corps électoral à une proposition de loi. Mais les critiques de ce mécanisme sont très fortes, car il s’agit d’un mécanisme lent, complexe et lourd à mettre en œuvre. Depuis 2008 il y a eu une première tentative début 2018 par le parti socialiste pour rétablir l’ISF, qui n’a pas abouti faute d’avoir recueilli suffisamment de soutiens. Une deuxième initiative a été activée en avril 2019 pour empêcher la privation de l’aéroport de Paris, et on en est à la phase de recueil des soutiens ouverte jusqu’au 12 mars 2020.
Enfin pour terminer il faut dire un mot de la revendication essentielle du mouvement des gilets jaunes de mettre en place un référendum d’initiative populaire ou citoyenne, soit donc un instrument de démocratie directe. Il suffirait de recueillir un nombre donné de signatures pour que le référendum ait lieu, sans que soit nécessaire l’accord du parlement ou du président de la république. Ils revendiquent quatre formes de référendum, le référendum législatif, le référendum abrogatif, le référendum révocatoire qui consisterait à démettre un élu de son mandat, et enfin le référendum constitutionnel qui permettrait de modifier la constitution.
Une conséquence actuelle du mouvement des gilets jaunes : la mise en place pour octobre de cette année, donc maintenant, d’une convention citoyenne pour le climat, qui réunit 150 citoyens tirés au sort, qui bénéficiera d’un budget de 4 M €, la convention se réunira 6 WE toute les 3 semaines pour envisager des mesures de transition écologique dans tous les secteurs, notamment agriculture, logement, transports, fiscalité environnementale. Cette concertation est assortie d’un luxe de garanties en termes de qualité de l’information, sérénité des débats, indépendance. Un rapport et des propositions devront être remis en février 2020. Pour autant, une des conditions du débat est que ses participants ne s’érigent pas en décideurs de la chose publique à la place de ceux qui ont été élus ou à la place du peuple. Ensuite, le gouvernement élaborera ses propres propositions, qui feront l’objet soit d’un référendum, soit d’un projet de loi ou de textes réglementaires.
Il s’agit là de pistes dont on parlera sans aucun doute à l’avenir, qui vont dans le sens de la co-production, c’est-à-dire de l’association du public selon des modalités à définir à l’élaboration même de la décision. Mais cela implique d’une part que l’administration admette qu’il existe d’autres critères de choix que celui de l’efficacité économique, et soit prête à ne pas réaliser certains projets qui pourtant présentent une cohérence économique et d’autre part que les citoyens disposent également d’une expertise, et qu’il soient plus formés aux enjeux, nécessités et contraintes de l’action publique. Ceci est donc encore un long chemin, mais, je crois que le parcourir sera inévitable, et je trouve que c’est tant mieux.