Agatif | Relazione francese – Lipsia – 15/05/2009
AGATIF propone lo scambio di esperienze professionali, anche nel quadro del diritto comunitario, la comparazione del diritto amministrativo e del diritto processuale amministrativo nei Paesi europei.
Agatif, giudici amministrativi italiani, tar lombardia, tar lazio, diritto amministrativo, avvocati amministrativi italiani, giudici amministrativi francesi, giudici amministrativi tedeschi, giurisprudenza, convegni diritto amministrativo
22299
single,single-post,postid-22299,single-format-standard,ajax_fade,page_not_loaded,,select-theme-ver-3.1,wpb-js-composer js-comp-ver-4.11.2.1,vc_responsive

Relazione francese – Lipsia – 15/05/2009

Relazione francese – Lipsia – 15/05/2009

JUGE ADMINISTRATIF ET RELIGION ; LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES ET LE PRINCIPE DE LAÏCITE

 LA SPECIFICITE FRANÇAISE

 À première vue, la France ne se distingue pas des autres pays européens en ce qui concerne la dualité des pouvoirs, politique et religieux, fondée sur la théorie des deux glaives, qui découle de la formule évangélique « Rendez à César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu ». Mais elle est la seule à avoir radicalisé cette séparation, ce que traduit le terme de laïcité. Alors que l’anglais utilise to secularize pour dire laïciser, secularism  pour désigner le système politique, tandis que l’allemand parle simplement de « séparation » (Trennung von Kirche und Staat), le substantif français « laïcité », apparu en 1871, désigne certes le principe de séparation mais aussi l’une des « valeurs de la République », voire la première de toutes. C’est pourquoi on dit couramment de la laïcité qu’elle est « une passion française », au point que parler de « laïcité française » frise le pléonasme. Par rapport à la sécularisation, qui désigne un processus objectif, un mode d’organisation, la laïcité à la française est une sorte d’idéal sacro-saint, quasiment une idéologie. C’est ce qui la distingue de la laïcité démocratique ou pluraliste à l’américaine, toute imprégnée de religiosité, au moins civique. En France, on oppose couramment la « démocratie » à la « République ».

Le fond historique

Cette spécificité s’explique par l’histoire, la Révolution française marquant un tournant majeur.

La France d’Ancien Régime se caractérisait par « l’alliance du trône et de l’autel ». Pour jeter bas l’absolutisme royal et éliminer les privilèges de l’aristocratie et de l’Eglise, les révolutionnaires devaient adopter des positions anticléricales voire antireligieuses. Proclamant l’égalité abstraite de tous les individus, contre toutes les appartenances particulières, l’esprit jacobin devient une composante essentielle de l’esprit républicain. Un exemple éloquent : en 1902, on interdit en même temps les congrégations religieuses, omniprésentes en Bretagne, et l’utilisation du breton à l’église.

Dans ses formes extrêmes, la laïcité à la française peut se résumer en trois mots : anticléricalisme, jacobinisme, républicanisme, ce dernier englobant les deux autres. La France n’est plus la « fille aînée de l’Eglise » mais celle de la Révolution, devenue « notre mère à sous ».

Ce fond historique a si bien imprégné l’imaginaire et l’esprit républicain qu’il a engendré un discours « politiquement correct » sur la laïcité. On en use comme d’une arme, souvent avec violence, à la moindre occasion. Ainsi les polémiques se sont-elles déchaînées à propos du 1500ème anniversaire du baptême de Clovis, opposant les tenants de la « France historique » à ceux de la « France républicaine ». Le conflit entre les deux France s’est également rallumé lors du vif débat sur les origines chrétiennes de l’Europe à inscrire ou pas dans la Charte des droits fondamentaux ou dans le « traité constitutionnel » de l’Union européenne. Autre exemple : à la suite de la visite du Pape Benoît XVI en France, des militants laïques ont protesté avec véhémence contre la diffusion par la radio publique des discours du Pape et l’absence de droit de réponse d’une durée équivalente pour les athées et libres-penseurs. Enfin, tout récemment, Alain Juppé, ancien Premier ministre, n’a pas hésité à parler à la télévision « d’atteinte à la laïcité » à propos d’un projet de statistiques jugées « ethniques », comme si la laïcité était synonyme de non discrimination et exigeait de neutraliser toutes les différences.

Pourtant, entre le principe vigoureusement affiché et la réalité, il y a un grand fossé, déjà patent dans les textes fondateurs. La France actuelle vit à la fois de laïcité close (« laïciste ») et de laïcité ouverte.

 

  1. LES TEXTES FONDATEURS

 

Ils sont de deux types: les textes constitutionnels, qui s’appliquent sur tout le territoire français, et la loi de 1905, qui n’est pas applicable en Alsace-Moselle et dans des territoires éloignés (Guyane, Polynésie, Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre et Miquelon). Et ils ne recouvrent pas la même notion de laïcité.

Au niveau constitutionnel est affirmé le principe de la liberté religieuse énoncé dès 1789 dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu qu’elles ne troublent pas l’ordre public établi par la loi ». Quant à la laïcité, on la trouve dans la Constitution de 1958 qui dispose que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».

Comme principe constitutionnel, la laïcité signifie la séparation des Eglises et de l’Etat et la neutralité de l’Etat en matière religieuse, ainsi qu’un traitement égal des religions. Mais elle n’exclut pas nécessairement les aides publiques aux activités religieuses si celles-ci présentent un intérêt général, qu’il revient au juge d’apprécier, du moins dans les cas où la loi de 1905 ne s’applique pas puisque cette loi au contraire exclut de telles aides.

La sacro-sainte loi de 1905, dite de séparation des Eglises et de l’État ‑ en fait de « l’Eglise catholique  ‑, constitue le texte clef de la laïcité française. Elle a été votée dans un contexte d’affrontement extrême entre les deux camps, catholique et républicain. Son paroxysme a été atteint avec la politique anticléricale très violente menée tout spécialement contre les congrégations religieuses. Celles-ci se voient essentiellement reprocher de menacer la République par l’enseignement réputé anti-républicain qu’elle dispensent à la jeunesse ; accessoirement, elles portent atteinte à l’ordre public par les vœux perpétuels que doivent prononcer leurs membres, le couvent étant une forme de servitude volontaire par essence anti-sociale.

Les collègues présents au colloque de Grenoble de 2008 et qui ont visité la Grande Chartreuse se souviennent sans doute de l’expulsion des Chartreux par la force armée. Elle a été décidée par le président du Conseil, Emile Combes, pourtant ancien séminariste, auteur d’une thèse sur St Thomas d’Aquin, et amoureux sur le tard d’une jeune princesse carmélite contemplative… Les voies du Seigneur sont impénétrables !

En dépit de la violence des échanges et du climat de passion dans lequel elle a été débattue, la loi de 1905 est une loi de compromis. La position des pacificateurs, favorables à la neutralité confessionnelle de l’État et à la liberté de l’Eglise de s’organiser selon ses propres moyens, l’a emporté sur celle des extrémistes : l’Eglise ne doit pas être protégée, mais il ne faut pas non plus la détruire.

Concrètement, et synthétiquement, la loi de 1905 comporte deux volets, l’un libéral, exprimé dans l’article 1er, « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes. », l’autre « laïc à la française », exprimé à l’article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». C’est donc la fin du système des cultes reconnus, issu du concordat de 1801, dans lequel les prêtres sont fonctionnaires et les évêques nommés par l’Etat, la fin d’une protection particulière pour certains cultes (catholique, protestant, israélite), la suppression des budgets consacrés à l’exercice des cultes et au traitement du clergé, la fin de l’enseignement religieux dispensé à l’école. Ce n’est plus simplement une séparation de l’Eglise et de l’Etat mais une expulsion de la religion de la sphère publique. Car, à la différence du principe constitutionnel de laïcité, la loi de 1905 institue une discrimination au détriment du fait religieux, privé, par principe, du soutien public qui est accordé à toute autre activité (sportive, culturelle ou philosophique) pourvu qu’elle serve l’intérêt général. La loi récuse donc a priori le rôle positif que peuvent jouer les religions dans la société en termes d’intégration ou de solidarité.

Cette loi, vieille d’un gros siècle, fait consensus aujourd’hui. Mieux, elle est tabou : «  un pilier de notre identité collective » (D. de Villepin), « au cœur de notre pacte républicain ». Il est donc très difficile d’y toucher, ne serait-ce que pour l’amender et la moderniser, sous peine de casus belli. Elle recèle cependant des archaïsmes et des incohérences, d’autant plus flagrantes que le paysage religieux a profondément changé.

D’où nombre de difficultés pour le juge administratif français.

III LA REGULATION PAR LE JUGE : trois thèmes

 

  1. La liberté religieuse face à la neutralité de l’Etat

Ni anti-religieux, ni athée, l’Etat connaît et respecte le fait religieux, il laisse chacun libre de pratiquer ou pas une « religion », terme qui n’est pas défini et ne figure même pas dans les textes.

Il s’ensuit notamment le libre choix de l’éducation des enfants par les parents : il y a en France un important enseignement privé, généralement confessionnel, aidé par l’État depuis une loi de 1959, dont les élèves ont droit aux bourses publiques. Dès l’origine, une journée est chômée pour le catéchisme et du poisson est servi le vendredi dans les écoles publiques. Mieux : pour que soit assuré le libre exercice des cultes dans les établissements publics « fermés » (internats, hôpitaux, prisons), la loi de 1905 permet de déroger à l’interdit de subventionner les cultes en permettant aux collectivités publiques de prendre en charge les dépenses d’aumônerie de ces établissements ou d’y autoriser par exemple l’édification d’un bâtiment cultuel (Conseil d’Etat, 1969, 70734).

Mais d’un autre côté, le principe de neutralité philosophique et religieuse, corollaire du principe de laïcité, pèse lourd, notamment dans l’éducation. Par exemple, alors que le calendrier scolaire épouse toujours le calendrier liturgique chrétien (même si l’on assiste à une laïcisation terminologique rampante : vacances de printemps et non plus de Pâques, souhait de « bonne fêtes de fin d’année » et non plus de « joyeux Noël »), les enfants de maternelle reviennent avec des Père Noël mais surtout pas une crèche, ils se déguisent pour Halloween mais surtout pas pour Mardi gras et ignorent la Toussaint… La question d’un enseignement des religions est souvent débattue (cf. R. Debray) et toujours remise à plus tard, alors qu’un tel enseignement existe en Alsace-Moselle dans les écoles publiques, pour chacun des quatre cultes reconnus.

La question du respect du principe de neutralité s’est aussi posée à l’école à propos de l’éducation sexuelle. Selon le Conseil d’Etat, une campagne d’information sur la contraception destinée aux élèves de troisième ne portait pas atteinte aux convictions religieuses ou philosophiques des élèves, de leurs parents et des enseignants, information qui incluait pourtant la « contraception d’urgence », c’est-à-dire la « pilule du lendemain », que les élèves mineures peuvent se voir délivrer par l’infirmière scolaire, ce qui n’est pas « neutre ».

Quant aux agents publics, leur liberté religieuse exclut toute discrimination au niveau de leur recrutement et de leur carrière. Le Conseil d’Etat vient d’annuler un concours d’officiers de police en raison des questions que le jury avait posées à un candidat sur son origine et sur ses pratiques confessionnelles ainsi que sur celles de son épouse (Conseil d’Etat, n°311888, 10 avril 2009).

La liberté religieuse des agents est toutefois limitée dans son expression non par une ou des lois mais par le devoir de réserve, notion jurisprudentielle, ou par le fonctionnement du service, qui rend légitime le refus opposé à un agent de s’absenter le vendredi de 14h à 15h pour se rendre à la mosquée (Conseil d’Etat, 2004, n° 264314), ou encore spécifiquement par le principe de neutralité, particulièrement strict dans le service public de l’enseignement, dont les agents, enseignants ou pas, ne disposent pas du droit de manifester leurs croyances religieuses (Conseil d’Etat, 2000, avis n°217017).

  1. Le libre exercice du culte religieux

La garantie du libre exercice des cultes passe notamment par la reconnaissance d’associations dites cultuelles, formées pour subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice public d’un culte. L’État doit donc déterminer ce qui est un culte et ce qui ne l’est pas alors qu’il prétend ne reconnaître aucun culte. De même il distingue ce qui est « religieux » ou ne l’est pas, quand il reconnaît qu’une communauté est une « congrégation », ou quand il qualifie un mouvement de « sectaire » selon les critères fixés par une loi de 2001. En fait, comme l’écrit J.M. Woerhling, dans son introduction à l’ouvrage collectif Etat et religion en Europe[1], la loi de 1905, sans le dire, met en place un système à deux niveaux, en instaurant une discrimination entre d’une part les religions favorisées par le biais des associations cultuelles et des congrégations, auxquelles sont attachés des avantages, d’autre part les autres religions organisées sous forme d’associations ordinaires sans avantages.

Les associations cultuelles

La loi de 1905 prévoyait le transfert des biens immobiliers et mobiliers servant au culte, biens qui avaient été nationalisés en 1789, à des associations cultuelles. Celles-ci doivent avoir exclusivement pour objet l’exercice d’un culte, ce qui englobe la construction et l’entretien d’édifices cultuels. Elles peuvent recevoir des dons et legs et bénéficient d’avantages en matière fiscale. Ce statut avantageux sur le plan matériel est bien sûr convoité par les religions dites nouvelles ou les sectes, auxquelles elle procure en outre un « brevet d’honorabilité ». Il reviendra au juge de vérifier, en cas de refus par l’administration d’un avantage fiscal, si l’association requérante a bien le culte pour objet exclusif et si elle n’a aucune activité contraire à l’ordre public. Le juge doit donc d’abord s’assurer qu’il y a « culte », c’est-à-dire selon le Conseil d’Etat (avis du 1997 n°187122), « célébration de cérémonies organisées en vue de l’accomplissement, par des personnes réunies par une même croyance religieuse, de certains rites ou de certaines pratiques ». C’est donc une question d’appréciation laissée à l’administration et contrôlée par le juge. Ainsi le culte de Krisna a-t-il été reconnu par le Conseil d’Etat (1982, n° 21102). Mais pas la secte du « Vajra triomphant », en raison de l’atteinte que celle-ci portait à l’ordre public.

Les congrégations

 

La France s’enorgueillit d’une loi de 1901, très libérale, qui instaure la liberté d’association en distinguant associations ordinaires et associations d’utilité publique dotées avantages fiscaux. Mais cette même loi a instauré un régime très sévère, maintenu par la loi de 1905, pour les « congrégations », qu’elle ne définit d’ailleurs pas. Celles-ci ne peuvent être autorisées que par une loi ! Ce régime a été assoupli depuis 1942, mais les congrégations ne peuvent aujourd’hui encore obtenir leur reconnaissance légale, donc une capacité juridique, que par décret rendu sur avis conforme du Conseil d’Etat. Or les critères à remplir sont restés ceux d’un décret de 1901, jamais modifié depuis, qui ont été taillés sur mesure pour des congrégations catholiques. au surplus dans un contexte gallican. Ainsi une congrégation doit-elle être soumise à l’autorité de l’évêque du diocèse, ce qui, pris à la lettre, interdit toute congrégation non catholique. Une autre condition est prévue par un décret de février 1790, toujours en vigueur : l’interdiction des vœux perpétuels.

Face à de tels archaïsmes, le Conseil d’Etat, quand il est saisi pour avis sur le statut des congrégations, a fait preuve d’une très grande souplesse en  « tirant» les textes pour qu’ils s’adaptent au nouveau contexte. Ainsi, il interprète le texte de 1790 comme prohibant non pas la réalité des vœux perpétuels mais leur seule mention dans les statuts soumis à son approbation (Conseil d’État, avis 15 juin 1988 n°344185 ou 9 juillet 1997 n° 359972). Ce contrôle purement formel a permis de ménager la liberté religieuse, consistant à s’engager pour la vie, et le respect, fictif, de normes caduques. Ont ainsi été reconnues des congrégations protestantes, orthodoxes, bouddhistes et hindouiste.

Le Conseil d’Etat ne s’est pas encore prononcé au contentieux sur la question. La cour administrative d’appel de Paris l’a fait à propos d’une secte délirante, dite du « Vajra triomphant ». Le motif qui avait fondé le refus du ministre de reconnaître la secte comme congrégation, à savoir qu’elle n’appartenait pas à une religion « historique », a été sanctionné par la Cour comme non prévu par les textes et constituant une discrimination. La Cour lui a substitué un motif d’ordre public, en l’espèce le refus réitéré de la secte de détruire la statue monumentale du gourou édifiée de son vivant sans autorisation[2].

Les textes applicables sont donc désuets et les critères de 1901 devenus trop formalistes pour être vraiment opérationnels.

Pourquoi ne pas prendre en compte, comme le fait l’Autriche, le nombre de membres d’une communauté, une ancienneté minimale de la religion dont elle se réclame, le nombre de ses adeptes, autrement dit sa représentativité ?

Pourquoi maintenir un régime dérogatoire pour les congrégations, alors que celles qui sont « reconnues » bénéficient désormais d’avantages pratiquement équivalents à ceux des associations reconnues d’utilité publique ?

Et la distinction opérée en droit français entre d’une part les associations ordinaires et d’autre part les associations cultuelles ainsi que les congrégations est-elle valide au regard de la convention européenne des droits de l’homme ? L’affaire de l’Union des athées[3] à qui le Conseil d’Etat avait refusé le statut d’association cultuelle au motif que ce groupement ne se propose pas de subvenir à un culte permet d’en douter : il n’y a, selon la Commission européenne des droits de l’homme, « aucune justification objective et raisonnable de maintenir un tel système qui défavorise à un tel degré les associations non cultuelles ».

Les bâtiments cultuels

La création d’associations cultuelles à qui devaient être transférés les édifices cultuels pour leur prise en charge fut interdite par le Pape Pie X. Pour que l’exercice du culte catholique ne soit pas interrompu, le gouvernement fit voter une loi en 1907 prévoyant que les pouvoirs publics, propriétaires des bâtiments cultuels, assument la charge de ceux construits avant 1905 et les laissent gratuitement à la disposition des fidèles et des prêtres.

On aboutit ainsi à une inégalité de traitement assez paradoxale : ce qui a été vécu comme une confiscation se transforme en privilège pour l’Eglise catholique dont les églises construites avant 1905, fort nombreuses, sont entretenues par les pouvoirs publics, alors que les juifs et les protestants, qui ont créé des associations cultuelles, sont responsables de l’entretien de leurs lieux de culte, et que les musulmans, nouveaux dans le paysage religieux, ne peuvent s’offrir des mosquées : le financement public est interdit et les fidèles sont souvent socialement défavorisés (immigrés). On a le choix entre le financement par des puissances étrangères (Arabie saoudite) ou bien le contournement de la loi.

Comment ? Les subventions publiques sont certes interdites aux associations qui ont, exclusivement ou non, des activités cultuelles (Conseil d’Etat, Section, 1992 n°94455 à propos d’une association de culte hindou). Néanmoins, la loi n’interdit pas aux communes de leur louer au prix réel un bien communal (terrain ou local) pour l’exercice d’activités cultuelles. Certaines tenteront d’aider à la construction de mosquées par le biais de locations quasi-fictives, c’est-à-dire d’un montant dérisoire, que le juge sanctionnera au motif qu’il s’agit d’une subvention déguisée (Conseil d’Etat, 2009 n°0704171).

Ainsi, un bail emphytéotique (de 99 ans), conclu entre une commune et une association pour un terrain destiné à la construction d’une mosquée, à raison d’un euro par an, constitue selon le juge une subvention illégale accordée pour favoriser le culte musulman car le montant ne couvre ni le coût d’acquisition du terrain par la commune (130 000 €) ni le coût de la privation de jouissance de celui-ci, même si le bâtiment revient à la commune à l’expiration du bail et peut alors être cédé au prix réel (tribunal administratif de Lille, 2007, n°0401078). Une solution identique d’un autre tribunal (Cergy-Pontoise) a été annulée en appel pour une affaire très similaire (cour administrative d’appel de Versailles, 2008, n°07VE01824). De manière générale, le juge d’appel semble un peu moins raide que le juge de première instance.

La question est plus délicate à trancher quand la demande porte sur la construction d’un centre culturel islamique : le centre n’a t-il pas une fonction religieuse malgré son habillage culturel ? (Conseil d’Etat, Section, 1988, n°38765).

Bien sûr, cette problématique est plus simple en Alsace-Moselle : le droit local maintenu en vigueur non seulement autorise les subventions aux cultes reconnus mais il n’interdit pas de subventionner les cultes non reconnus, tel le culte musulman, dès lors qu’il y a un but d’intérêt général. Ainsi pour la création d’une mosquée à Strasbourg (Conseil d’Etat, 2006 n°0002734).

Se pose aussi le problème de l’utilisation par les communes des bâtiments cultuels dont elles sont propriétaires. Tant qu’il n’y a pas désaffectation, elles ne peuvent en faire un usage culturel (expositions ou concerts), sauf accord de l’affectataire, le prêtre (Conseil d’Etat, 2005, n° 284307).

Question annexe : une commune peut-elle contribuer à l’installation d’un orgue dans une église édifiée avant 1905 ? Non, juge le tribunal de Lyon (2001 n°9604883), car l’association qui demandait la subvention avait des activités cultuelles même si elle avait aussi des activités culturelles. Une commune peut-elle, dans une église semblable, installer un orgue à ses seuls frais pour un projet d’animation communal ? Non, juge le tribunal de Nantes (n°023956, 2005) confirmé en appel (cour administrative d’appel de Nantes, 2007). Car l’orgue n’existait pas jusque là, ce n’est donc pas une dépense de réparation ou de conservation de l’édifice incombant aux communes. Ensuite, un orgue est un meuble, et comme tel, « laissé à la disposition des fidèles et des prêtres » en vertu de la loi de 1907. Donc les frais d’installation de l’orgue constituent une subvention à un culte.

 

 

 

  1. La libre expression et manifestation des convictions religieuses

L’atteinte à nos valeurs : le cas exemplaire de l’islam :

L’expression extérieure des convictions paraît particulièrement problématique à propos de l’islam. C’est ce qu’a révélé en 1989 l’affaire du foulard islamique porté par des élèves dans une école publique, qui va conduire à une loi votée en 2004 interdisant le port de signes religieux dans les écoles, collèges et lycées publics.

Sous couvert d’une loi très générale, c’est bien le voile islamique qui est visé (on l’appelle d’ailleurs communément « loi sur le voile »). Il y a peu de Sikhs en France, donc pas de problèmes de turbans, mais beaucoup de musulmans. Il est clair aussi que les jeunes filles voilées ont été très largement instrumentalisées par les mouvements islamistes radicaux. Enfin l’islam radical heurte nos valeurs : confusion du religieux et du politique (la charia), polygamie, répudiation de l’épouse par simple déclaration du mari, soumission des femmes…

La loi de 2004 est plus raide que la jurisprudence qui prévalait antérieurement, et qui cherchait à concilier le principe du respect de la liberté religieuse, donc le droit de porter des signes religieux, et l’interdiction de certains excès (le prosélytisme, la propagande, la perturbation des activités d’enseignement dans les cours de gymnastique ou de chimie). Les signes d’appartenance religieuse ne devaient donc pas présenter un caractère « ostentatoire » ou « revendicatif » (Conseil d’Etat, 1992, n°130394).

Mais devant les difficultés rencontrées par les responsables contraints de se livrer à une appréciation au cas par cas, sous le contrôle du juge, la solution typiquement française du recours a la loi a prévalu. La France aime mieux les lois que le juge et sa subtilité casuistique, estimée peu prévisible… Désormais, en vertu de la loi, sont interdits tous les signes (foulard islamique, kippa ou grande croix) dont le port, par lui-même ou en raison du comportement de l’élève, manifeste ostensiblement une appartenance religieuse. A ainsi été confirmée par le juge l’expulsion d’une élève qui avait remplacé le foulard par d’autres couvre-chefs (bandana), compte tenu des conditions dans lesquelles elle portait ces coiffures (Conseil d’Etat, 2009, n° 307764).

L’adhésion manifestée aux principes ou pratiques islamiques peut également faire obstacle à l’acquisition de la nationalité française pour « défaut d’assimilation ». Est légal le refus opposé à un Algérien qui avait tenu à plusieurs reprises des propos hostiles à la laïcité et à la tolérance envers les minorités révélant un rejet des valeurs essentielles de la société française. L’intéressé critiquait violemment la France, coupable selon lui d’islamophobie en tentant de lui imposer la laïcité, et en refusant de lui accorder la nationalité française alors qu’elle l’accorde bien « aux homosexuels, aux bouddhistes, aux punks et aux rabbins » (Conseil d’Etat, 2007, n°297355). Même refus à une femme qui était voilée des pieds à la tête et vivait recluse chez elle. Motif : elle a « adopté une pratique radicale de sa religion, incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française, notamment avec le principe d’égalité des sexes » (Conseil d’Etat, 2008, n° 286798).

Les sectes et l’atteinte à l’ordre public

 

On connaît la définition de V. Hugo : une religion, c’est une secte qui a réussi ! Certaines, telles celle du « Vajra triomphant », sont proprement délirantes. Mais la France est aussi en délicatesse avec d’autres, plus « présentables », comme les Témoins de Jéhovah, dont les convictions selon le juge portent atteinte à l’ordre public entendu au sens large.

Ainsi, l’adoption d’un enfant est refusée à un couple témoin de Jéhovah (CE 1992, n° 11078, conclusions Hubert) parce qu’il refuse les transfusions sanguines, ce qui peut mettre en péril la santé de l’enfant : « cette attitude heurte directement la conception de la protection de la santé, et tout simplement le droit à la vie des enfants. Elle méconnaît dès lors un élément de notre ordre public social » (conclusions sous Conseil d’Etat, 1985, n° 45488).

C’est encore au nom d’un ordre public préventif, c’est-à-dire la protection de la santé et de la sécurité des personnes, que le juge valide la décision d’une administration en charge de la veille et de la lutte contre les dérives sectaires de signaler sur son site Internet les références d’un livre intitulé « Nicolas, 25 ans, rescapé des témoins de Jéhovah » (Conseil d’Etat, 2008, 310220). Le juge administratif semble ainsi abandonner l’attitude répressive a posteriori, normalement seule de mise quand est en cause une liberté fondamentale comme l’est la liberté de religion.

Mais inversement, la liberté l’emporte si ce n’est plus la vie d’autrui qui est en jeu mais celle de l’adepte lui-même : le médecin qui connaît parfaitement la volonté du patient de refuser les transfusions sanguines doit s’interdire de les pratiquer même si la vie du patient en dépens (Conseil d’Etat, Assemblée, 2001, n° 198546, infirmant la cour administrative d’appel de Paris).

De même, une ville porte une atteinte illégale à la liberté de réunion en refusant de louer à une association pour le culte des Témoins de Jéhovah, au prix normal, une salle municipale au seul motif du caractère sectaire de l’association sans qu’il soit fait état d’une menace à l’ordre public (Conseil d’Etat, 2007, n° 304053).

 

 

En guise de conclusion

La France est parvenue à une sorte d’équilibre instable, mais de plus en plus problématique. Sous couvert de neutralité, notamment à l’école, on procède en réalité à une occultation tant des religions que la dimension religieuse qui, quelle que soit la religion, est constitutive de la personnalité des individus.

Il se pourrait donc que la « France de l’intérieur » ait quelque chose à apprendre de la « laïcité à l’Alsacienne », qui ne confond pas la neutralité avec la neutralisation. Il n’est pas sûr que la France, toujours hantée par ses vieux démons, soit mûre pour cela. En témoignent les polémiques qui ont accompagné les déclarations du  président de la République en faveur d’une laïcité plus ouverte aux valeurs religieuses. Et la spécificité alsacienne n’est-elle pas elle-même en voie de disparition ? La question se pose à la lecture d’un arrêt récent de la cour administrative d’appel de Nancy (6 mars 2008 n°07NC0008) que je laisse à J.M. Woehrling le soin de commenter…

[1] Etat et religion en Europe, les systèmes de reconnaissance, Revue de droit canonique n° 54, Strasbourg, 2004

[2] CAA. Paris, 9 juin 2006, n° 04PA01642, cf. AJDA 2006 p. 2067 à 2079, conclusions B. Folscheid

[3] Rapport de la Commission, 6 juillet 1994, Union des athées c/ France, req. 14635/89, in Traité de droit français des religions p. 345.