Agatif | Relazione francese del dott. Benoist Guevel – Bad Staffelstein – 28/5/2011
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Relazione francese del dott. Benoist Guevel – Bad Staffelstein – 28/5/2011

Relazione francese del dott. Benoist Guevel – Bad Staffelstein – 28/5/2011

Le pouvoir du juge dans l’examen des lois et des normes infra législatives.

Communication de M. Benoist GUEVEL, Premier conseiller au tribunal administratif de Toulouse.

Décrire le sujet proposé dans toute l’ampleur qui la caractérise serait un « vaste programme », comme l’aurait dit le Général de Gaulle, et, pour tout dire, impossible dans le délai de parole imparti, c’est pourquoi, mon propos, inspiré par l’actualité juridique française et le souci de favoriser une approche comparatiste entre les systèmes juridictionnels de nos trois pays, portera sur quelques traits saillants et les évolutions récentes du contrôle juridictionnel assuré par le juge administratif français. Je ne gloserai donc pas sur le dualisme juridictionnel « à la française », ni sur l’origine essentiellement jurisprudentielle du droit administratif français, tout cela est connu.

Ainsi, en admettant que ce juge est évidemment le juge naturel des actes infra législatifs, ie des actes administratifs, qu’ils soient réglementaires, individuels ou sui generis, je développerai deux idées, la première sur l’accroissement des possibilités d’appréciation de la loi par le juge administratif, et, la seconde, sur le renforcement de l’efficacité du pouvoir juridictionnel dans le cadre du procès administratif.

*

Première partie. La juridiction administrative est davantage impliquée dans l’appréciation de la loi pour exercer le contrôle juridictionnel des actes infra législatifs. Le juge administratif est-il devenu un juge constitutionnel ?

La loi revêt traditionnellement en France un caractère sacré, pour des raisons historiques. « La loi est l’expression de la volonté générale » comme le proclame l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. La loi reste une norme essentielle, aux côtés de la norme fondamentale qu’est la Constitution.

Concrètement, dans l’office du juge, cela signifie d’abord que, par principe, ni le juge administratif, ni d’ailleurs le juge judiciaire, ne sont juges de la loi.

Cela a pu signifier également un temps que, lorsque le juge administratif devait contrôler des actes infra législatifs pris en méconnaissance de la Constitution ou d’un engagement international (traité international ou acte européen), mais conformes à la loi, la loi s’interposait alors entre ces actes et la Constitution ou l’engagement international. Il s’agit de la « théorie de la loi-écran » retenue dans l’arrêt du Conseil d’Etat Arrighi du 6 novembre 1936 (Recueil Lebon p. 966) et la doctrine Matter (Paul) du nom d’un procureur général près la Cour de cassation.

Pourtant, l’appréciation que porte le juge administratif sur la loi a évolué. En effet, la théorie de la « loi-écran » a vécu en matière de contrôle de la conformité des actes infra législatifs aux traités internationaux, avec le « contrôle de conventionnalité » (1er point) – et a disparu partiellement en matière de contrôle des actes infra législatifs à la Constitution, avec la « question prioritaire de constitutionnalité » (2nd point).

-1er point. Le contrôle de conventionnalité conduit le juge administratif à écarter – non pas à l’abroger – la loi contraire à un accord international dans le contrôle de l’acte administratif.

En droit français, les traités internationaux ont une autorité supérieure à celle des lois en vertu de l’article 55 de la constitution de 1958. Alors que cette supériorité est garantie par la Constitution, le Conseil constitutionnel a refusé d’exercer le contrôle du respect des conventions internationales par le législateur, dans une décision du 15 janvier 1975 relative à la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse. Il revient donc aux juges ordinaires, juge administratif et juge judiciaire, d’exercer ce contrôle.

Si les juridictions françaises n’ont jamais hésité à conférer cette valeur aux traités adoptés postérieurement à la loi, elles l’ont admis plus tardivement dans l’hypothèse inverse d’une loi adoptée postérieurement au traité, regardée alors comme faisant « écran » entre l’acte administratif et le traité, notamment dans l’arrêt CE, 1er mars 1968, Syndicat national des fabricants de semoules de France. Depuis 1989, cette supériorité des traités internationaux sur les lois est reconnue sans aucune restriction (CE, 20 octobre 1989, Nicolo, n° 108243) après que la Cour de cassation l’a admis quelques années plus tôt en 1975 (arrêt Société des cafés Jacques Vabre, 24 mai 1975)

Dans l’arrêt Nicolo, le Conseil d’Etat a écarté l’application d’une loi contraire à des stipulations du Traité de Rome, dont au droit communautaire primaire. Il a écarté ultérieurement des dispositions législatives contraires au droit communautaire dérivé, aux dispositions d’un règlement (CE, 24 septembre 1990, M. Boisdet n° 58657) ou aux objectifs d’une directive (CE, 28 février 1992, SA Rothmans International France et SA Philip Morris France, n° 56776,56777).

S’agissant du cas des directives non transposées dans les délais prévus pour ce faire, le Conseil d’Etat a récemment rappelé, dans l’arrêt Mme Perreux de 2009 (CE, 30 octobre 2009, n° 298348), que la transposition en droit interne des directives communautaires est une obligation résultant du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et revêt, en outre, en vertu de l’article 88-1 de la Constitution française, le caractère d’une obligation constitutionnelle. La Haute juridiction confirme qu’il appartient au juge national de garantir l’effectivité des droits que toute personne tient de cette obligation à l’égard des autorités publiques. En conséquence, tout justiciable peut demander l’annulation des dispositions règlementaires qui seraient contraires aux objectifs définis par les directives et, pour contester une décision administrative, faire valoir, par voie d’action ou par voie d’exception, qu’après l’expiration des délais impartis, les autorités nationales ne peuvent ni laisser subsister des dispositions réglementaires, ni continuer de faire application des règles, écrites ou non écrites, par exemple jurisprudentielles, de droit national qui ne seraient pas compatibles avec les objectifs définis par les directives ; le juge écarte les dispositions législatives incompatibles : c’est l’invocabilité d’exclusion.

Grâce au contrôle de conventionalité des lois, le juge administratif, comme le juge judiciaire,  peut disqualifier la loi, ie l’écarter sans la censurer, le temps du litige, pour faire prévaloir un acte supranational auquel la loi serait incompatible, afin de censurer un acte réglementaire ou individuel illégal.

La responsabilité de l’Etat peut être engagée à raison de la méconnaissance du droit supranational, soit pour faute (CE, 23 mars 1984, Société Alivar ; CE, 28 février 1992, Société Arizona Tobacco Products et SA Philip Morris France), soit en l’absence de faute (CE ,30 mars 1966, Compagnie générale d’énergie radioélectrique).

-2nd point. La « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC) permet au citoyen via le juge administratif de saisir le juge constitutionnel pour abroger une loi inconstitutionnelle faisant écran entre l’acte administratif contrôlé et la Constitution.

La juridiction administrative n’exerce pas un contrôle de la constitutionnalité des lois, sauf s’agissant du seul Conseil d’Etat, dans l’exercice de sa mission consultative sur les projets et les propositions de lois qui lui sont soumis. Au contentieux, selon la formule consacrée par le Conseil d’Etat, « il n’appartient pas à la juridiction administrative d’apprécier la constitutionnalité des dispositions législatives » (CE, 22 octobre 1979, Union démocratique du travail, n° 17541 ; 17 février 2005, Meyet et autres, n° 159308).Ce contrôle relève naturellement du Conseil constitutionnel.

La théorie de la « loi écran » s’applique donc, dans l’hypothèse où un vice d’inconstitutionnalité invoqué par le requérant trouve donc sa source dans la loi – soit de manière directe, lorsque le requérant soulève expressément une exception d’inconstitutionnalité contre la loi, soit de manière indirecte lorsque, en substance, la disposition critiquée de l’acte administratif reprend en réalité une disposition législative. Le juge administratif s’estime alors incompétent et écarte le moyen comme irrecevable.

Cette théorie demeure mais, avec l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité – la QPC -, le juge administratif comme le juge judiciaire apportent une contribution essentielle au contrôle de constitutionnalité dont ils deviennent des acteurs. La QPC est l’instrument par lequel tout justiciable peut, depuis le 1er mars 2010, soutenir devant le juge ordinaire qu’ « une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit », en application de l’article 61-1 de la Constitution. Est ainsi introduite devant le juge ordinaire la faculté de contester, par la voie de l’exception, l’inconstitutionnalité de la loi.

La QPC est issue de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 sur la modernisation des institutions de la Ve République, qui modifie l’article 61-1 de la Constitution (cf la loi organique du 10 décembre 2009 et deux décrets du 16 février 2010). La portée de la réforme est considérable à tel point que la doctrine a parlé de « big bang juridictionnel ». La QPC permet d’ouvrir aux citoyens l’accès au prétoire du juge constitutionnel, alors que la saisine du Conseil constitutionnel était jusqu’alors réservé au président de la République, au Premier ministre, au président de l’Assemblée nationale et au président du Sénat, ainsi qu’à 60 députés ou 60 sénateurs le plus souvent membres de l’opposition parlementaire au gouvernement. Alors que le contrôle de la conformité des lois à la Constitution est traditionnellement un contrôle a priori de la loi votée par le Parlement mais non encore promulguée, non encore entrée en vigueur, la QPC instaure un contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois promulguées, parfois anciennes, qui n’ont pas été soumises à un contrôle de constitutionnalité.

La QPC peut être posée devant le juge administratif comme devant le juge judiciaire, en première instance, en appel ou en cassation. L’admission de la question est soumise à des conditions afin de prévenir toute saisine intempestive. Il y a d’abord des conditions de fond : il doit être soutenu par un requérant qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, c’est-à-dire les droits et libertés qui figurent, d’une part, dans la Constitution du 4 octobre 1958 telle que modifiée à plusieurs reprises, et, d’autre part, les textes auxquels renvoie le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, à savoir la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le Préambule de la Constitution de 1946, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (auxquels renvoie le Préambule de la Constitution de 1946), par exemple, la liberté d’association ou la liberté d’enseignement, la Charte de l’environnement de 2004. En somme, le corpus appelé « bloc de constitutionnalité ».

Des conditions de forme et de procédure sont également posées. La question de constitutionnalité est « prioritaire ». Cela signifie que la question doit être examinée sans délai et avant toute autre question ou exception ou moyens, par exemple une exception d’inconventionnalité. La QPC est soumise à un « double filtre ». D’abord, la juridiction saisie de l’instance procède sans délai à un premier examen de la question et, si les conditions de recevabilité de la QPC sont réunies, surseoit à statuer et transmet la question au Conseil d’Etat (ou à la Cour de cassation). Ensuite, le Conseil d’État (ou la Cour de cassation) procède à un examen plus approfondi de la question prioritaire de constitutionnalité et décide de renvoyer ou non la question au Conseil constitutionnel. La réunion de trois critères cumulatifs fonde le renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel : la disposition législative critiquée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; cette disposition n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux. Si le Conseil constitutionnel déclare que la disposition législative contestée est conforme à la Constitution, cette disposition conserve sa place dans l’ordre juridique interne (la juridiction doit l’appliquer, à moins qu’elle ne la juge incompatible avec une disposition d’un traité international ou du droit de l’Union européenne). Au contraire, si le Conseil constitutionnel déclare que la disposition législative contestée est contraire à la Constitution, il abroge cette loi qui disparaît alors de l’ordre juridique français (Article 62 de la Constitution).

Un bilan provisoire de la QPC peut être dressé. Au 28 février 2011, le Conseil constitutionnel a reçu, après « filtrage », 123 décisions de renvoi provenant pour 52 d’entre elles du Conseil d’Etat et pour les 57 restantes de la Cour de cassation. Il a pris 102 décisions, dont 56 décisions de conformité (dont 9 avec réserves), 22 décisions de non-conformité partielle ou totale et 24 décisions de non-lieu à statuer.

Précisons que, par un arrêt du 22 juin 2010, la Cour de Justice de l’Union Européenne, réunie en Grande chambre, a jugé, dans les affaires Melki et Abdeli (affaires C-188/10 et C-189/10) le mécanisme de la QPC compatible avec le droit de l’Union. Et que la QPC ne fait pas obstacle à l’application de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, consacré aux questions préjudicielles.

La QPC autorise un « dialogue des juges », juge constitutionnel, juge administratif et juge judiciaire. Elle aiguise le « réflexe constitutionnel » du juge ordinaire. L’ont peut se demander si elle ne confère pas au juge administratif et au juge judiciaire un rôle de juge constitutionnel. L’interrogation est posée et suscite nombre de réflexions en doctrine.

Dans le même temps où le juge administratif participe à l’entreprise de désacralisation de la loi, au demeurant si malmenée par le législateur lui-même, il contribue aussi à l’œuvre d’amélioration générale du procès administratif.

*

Seconde partie. Le pouvoir du juge administratif a gagné en efficacité, du fait de l’amélioration de ses modalités de contrôle, en vue de répondre à l’exigence sociale de qualité de la justice. Brossons les contours du « nouveau procès administratif ».

Afin de conforter sa fonction de gardien sourcilleux des droits et libertés dans le cadre de son contrôle de l’action administrative, le juge administratif français cherche à mieux juger, plus rapidement sans renoncer à la robustesse de ses solutions juridiques. Le chantier d’ »un nouveau procès administratif » a été initié à l’initiative du Conseil d’Etat, sous l’aiguillon exigeant des engagements de la France au sein de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe.

-En premier lieu, le juge administratif a, nous l’évoquions à l’instant, renforcé sa capacité de juger en intégrant progressivement complètement le droit international dans l’ordre juridique interne, conformément à l’article 55 de la Constitution. Il a ainsi assuré le respect de la supériorité des actes supranationaux sur les actes administratifs en 1952 (CE, 30 mai 1952, Dame Kirkwood ; CE, 19 avril 1991, Belgacem) puis de celle des accords internationaux et communautaires sur les lois même postérieures avec l’arrêt Nicolo de 1989. La décision Mme Perreux de 2009 a admis la possibilité pour tout justiciable de se prévaloir, à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif individuel, des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive, lorsque l’Etat n’a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires : c’est l’invocabilité de substitution (l’arrêt Perreux étend aux décisions individuelles la solution limitée aux seuls actes réglementaires par la jurisprudence du CE 22 décembre 1978 ministre de l’intérieur c/ Cohn-Bendit n° 11064). Le juge administratif a donc pleinement la qualité de juge de droit commun de l’application du droit de l’Union européenne. Précisions toutefois que le moyen tiré de l’exception d’inconventionnalité (ou méconnaissance d’un traité international) ne figure pas au nombre des « moyens d’ordre public » que le juge peut soulever d’office (CE, 11 janvier 1991, SA Morgane, n° 90995).

Le juge administratif veille également à l’articulation entre elles des normes communautaires et de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. S’il est saisi du moyen tiré de la méconnaissance par une directive de stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il doit rechercher si la directive est compatible avec les droits fondamentaux garantis par ces stipulations, qui, dans l’ordre juridique communautaire, sont protégés en tant que principes généraux du droit communautaire ; il lui revient de statuer sur le moyen invoqué ou, en présence d’une difficulté sérieuse, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’ une question préjudicielle (CE, 10 avril 2008, Conseil national des barreaux et autres, Conseil des barreaux européens, n° 296845,296907).

De manière générale, le Conseil d’Etat a démontré sa capacité d’ouverture à d’autres univers juridiques dans le cadre du « dialogue des juges ». Les exemples ne manquent pas des emprunts faits par la jurisprudence administrative française à des constructions ou standards juridiques étrangers : modulation des effets dans le temps des annulations contentieuses inspirée de la pratique de la Cour de Justice des Communautés Européennes, incorporation de la théorie américaine de l’exception de l’entreprise défaillante en matière de concentrations, incursion encore timide du principe allemand de la « confiance légitime » qu’un requérant ne peut utilement invoquer que pour autant que la décision administrative attaquée est un acte pris par le gouvernement français pour la mise en œuvre du droit  communautaire.

-En deuxième lieu, des réformes ont été réalisées afin d’améliorer l’office de la justice administrative afin de répondre aux exigences du « procès équitable » garanti par l’article 6 §1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le procès équitable suppose généralement l’indépendance et l’impartialité, l’égalité des armes, la publicité des débats et des décisions, et l’équité et la loyauté. Si l’ensemble de ces principes ont été consacrés il y a bien longtemps, notamment celui de l’impartialité subjective (CE, 2 mars 1973, Dlle Arbousset), il est apparu nécessaire de renforcer les garanties de l’impartialité objective du juge sous l’empire de la « théorie des apparences ». c’est pourquoi l’organisation et le fonctionnement de la justice administrative ont été repensées sans toutefois mettre de côté ce qui fait sa spécificité, à la lumière des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires Procola et autres (28 septembre 1995), Kress (du 7 juin 2001) et Martinie (du 12 avril 2006). Un décret du 6 mars 2008 a renforcé la séparation entre activités consultatives et contentieuses du Conseil d’État. L’ancien commissaire du Gouvernement devant les juridictions administratives – ce magistrat qui exerce un « double regard » précieux sur les requêtes et lit à l’audience publique des conclusions exprimant son avis personnel en droit -, ne participe plus au délibéré depuis un décret du 1er août 2006 et a pris le nom de « rapporteur public » en vertu d’un décret du 7 janvier 2009. Au vu de ces réformes, la Cour de Strasbourg européenne a donné un satisfecit à la France dans ses décisions des 30 juin 2009 et 15 septembre 2009 rendues dans les affaires Union fédérale des consommateurs Que choisir de la Côte d’Or c/ France (décision sur la recevabilité de la requête n° 39699/03) et Mme Etienne.

-En troisième lieu, la juridiction administrative est pleinement engagée pour relever le défi de la qualité de la justice. La qualité de la justice fait partie « des préoccupations ou des exigences nouvelles procédant : –  de la conscience des limites d’une approche purement juridique du fonctionnement de la justice ; –  des attentes nouvelles du public et des professionnels du droit vis-à-vis du service public de la justice ; – de la volonté de mieux allouer les ressources publiques et d’améliorer le service rendu aux justiciables », dans le cadre des efforts de discipline budgétaire induits par la « Révision Générale des Politiques Publiques » (RGPP) (« Les critères de la qualité de la Justice », discours de M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’Etat, 25 septembre 2009, Luxembourg).

La qualité de la justice suppose la réunion de plusieurs critères cumulatifs. D’abord l’accès facilité au prétoire du juge administratif. En France, et s’agissant du « recours pour excès de pouvoir », la recevabilité des recours dirigés à l’encontre des actes administratifs est largement admise. Dès 1950, dans l’arrêt Dame Lamotte, le Conseil d’Etat affirme le principe général du droit que le recours pour excès de pouvoir est ouvert même sans texte contre tout acte administratif afin d’assurer le respect de la légalité. Les particuliers mais aussi des personnes morales y compris un Etat étranger peuvent ester en justice (CE 18 avril 1986 Société les Mines des Potasses d’Alsace). L’intérêt à agir, en particulier celui des associations, est  apprécié de façon compréhensive. Le « droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif » est assuré. Les requêtes enregistrées au tribunal administratif peuvent être établies sur papier libre et sont, depuis le 1er janvier 2004, dispensées de droit de timbre et le plus souvent du ministère d’avocat.

La qualité de la justice suppose, par ailleurs, la célérité du procès, le cas échéant, sa prévisibilité et donc l’optimisation du temps juridictionnel, afin de satisfaire à l’exigence du « délai raisonnable de jugement », sauf à exposer l’Etat à l’engagement de sa responsabilité (CE, 28 juin 2002, Magiera, Lebon p. 248 ; 17 juillet 2009, ville de Brest). Des efforts de rationalisation ont été consentis afin d’accélérer le règlement des affaires contentieuses. Les délais de jugement ont été réduits. La dématérialisation des procédures en cours d’expérimentation est également une voie prometteuse. Des procédures d’urgence ont été créées en 2000 sous la dénomination de « référés » qui permettent aux justiciables d’obtenir devant un juge unique, à bref délai, le prononcé de mesures provisoires ou conservatoires. Citons le référé-liberté fondamentale qui doit être jugé en 48 heures, le référé suspension qui permet la suspension d’un acte administratif en cas d’urgence et de doute sérieux sur sa légalité, le référé-expertise pour désigner un expert chargé d’établir un rapport pour éclairer les magistrats en matière de dommages de travaux publics ou de responsabilité médicale, le référé provision, les référés pré-contractuel et contractuel, le référé audiovisuel, le référé fiscal, etc. Si la procédure contentieuse administrative est écrite et inquisitoriale, l’audience de référé permet davantage d’oralité.

Vitesse n’est pas précipitation, et le bon sens doit demeurer. Aussi la qualité de la justice fût-elle rendue rapidement suppose la fiabilité des solutions juridiques, l’intelligibilité et l’accessibilité des décisions rendues,  leur stabilité et leur prévisibilité, afin de garantir la sécurité juridique pour les justiciables. Cela suppose le maintien de la collégialité au sein des formations de jugements, des magistrats et des greffiers en effectifs suffisants et formés au raisonnement juridique, à la rédaction de décisions de justice et impliqués dans le « dialogue des juges ». Un groupe de travail sur la rédaction des décisions des juridictions administratives a été installé début 2011.

-En quatrième lieu, les prérogatives du juge administratif ont connu un enrichissement notable du fait du législateur ou de la jurisprudence. Il a étendu continûment son contrôle sur les actes ou faits de l’Administration, par exemple sur les décisions prises dans les « lieux de discipline » (casernes, prisons mais aussi écoles), selon un processus précipitant le déclin des « mesures d’ordre intérieur » insusceptibles des recours contentieux. L’intensité du contrôle de juge de l’excès de pouvoir s’est accrue avec la poursuite, dans de nombreux domaines, du passage du contrôle restreint ou du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation en contrôle normal. Traditionnellement, le juge administratif rejette la requête, ou annule l’acte administratif déféré à sa censure, ou alors réforme cet acte, ou enfin condamne une personne publique dont la responsabilité est engagée. De nos jours, les solutions sont plus diversifiées, dans le respect du principe « non ultra petita ». Par exemple, alors qu’en principe l’illégalité d’un acte implique son annulation, le juge administratif s’est attribué deux pouvoirs pour éviter l’annulation ou en limiter les effets. D’abord celle de corriger l’illégalité d’un acte chancelant, soit en opérant une « substitution de base légale » même d’office (CE, 3 décembre 2003, préfet de la Seine-Maritime c/ M. El Bahi, Leb. p. 479), soit en procédant à une « substitution de motifs » (CE, 12 janvier 1968 Dame Perrot, Lebon p. 39). Ensuite, pour conjurer l’effet rétroactif des décisions d’annulation, le juge administratif peut décider de « moduler » les effets des décisions d’annulation, soit en regardant comme définitifs certains des effets des actes annulés, soit en décidant de différer ou reporter dans le temps les conséquences de l’annulation (CE, 11 mai 2004, Association AC et autres !). La modulation permet d’éviter la déstabilisation provoquée par la remise en cause de certaines situations juridiques tout en conciliant principe de légalité et sécurité juridique. Une loi du 8 février 1995 (codifiée aux articles L.911-1 et suivants du code de justice administrative) a conféré au juge administratif un pouvoir d’injonction encadré lui permettant, à la demande des requérants, de prescrire ou d’enjoindre à l’administration de prendre, dans un délai qu’il fixe, et le cas échéant sous astreinte, une mesure dans un sens déterminé, par exemple la délivrance d’un titre de séjour, la réintégration d’un fonctionnaire dans ses fonctions ou l’organisation d’une élection, soit de statuer à nouveau sur la situation du requérant. Ce pouvoir d’injonction, qui déroge au principe de la prohibition des injonctions du juge administratif à l’administration, permet à ce juge d’indiquer aux parties les conséquences du jugement ou de l’arrêt rendu et d’en favoriser la bonne exécution (l’exécution préventive ou a priori des décisions de justice). L’injonction est prononcée en fonction des circonstances de droit ou de fait prévalant à la date de la décision juridictionnelle, et non pas à la date de la décision administrative attaquée. Ce faisant le juge de l’excès de pouvoir a acquis des pouvoirs de juge de plein contentieux, illustrant ainsi la tendance au rapprochement entre recours pour excès de pouvoir et recours de pleine juridiction. Par ailleurs, les conditions d’engagement de la responsabilité des personnes publiques ont été assouplies, avec par exemple avec l’abandon de la faute lourde dans les domaines de la responsabilité médicale ou de celle des services fiscaux ou l’extension de la responsabilité du fait des lois aux dommages causés par les espèces animales protégées, même si demeurent, en matière de responsabilité pour faute, l’exigence d’un lien de causalité suffisamment direct entre les fautes commises par la personne et le préjudice subi par la victime (CE 28 octobre 2009 M. Therme, n° 299753,299779), et, en matière de responsabilité sans faute, la nécessité d’un dommage anormal et spécial.

-La qualité de la justice c’est aussi l’impératif d’assurer le respect de la chose jugée et, en cas de résistance de l’autorité administrative, d’obtenir l’exécution, forcée le cas échéant, des décisions de justice. Les cas d’inexécution sont assez rares. Une procédure d’exécution est organisée par le code de justice administrative dans sa rédaction issue notamment d’une loi du 16 juillet 1980. Lorsqu’une loi de validation offre la possibilité à l’administration de se dispenser d’exécuter la chose jugée, cette faculté est soumise à des conditions et limites, en particulier les exigences du droit au procès équitable et l’existence d’un intérêt général suffisant.

C’est sur cette invocation de l’« intérêt général », qui nous réunit tous ici au pays de Richard Wagner », que je termine mon intervention.

***