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Relazione francese Dubois-Verdier – Saarbrücken – 5/10/2018

Liebe Kolleginnen und Kollegen,
Cari colleghe e colleghi,
Chers collègues !
« L’informatique doit être au service de chaque citoyen. (…) Elle ne doit porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques ». Ces mots figurent à l’article 1er de la loi du 6 janvier 1978, dite loi « informatique et libertés ». Comme le notait Jean Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’Etat français jusqu’en mai dernier, il apparaît qu’en France, dès 1978, le législateur français s’est préoccupé des risques que l’informatique peut faire peser sur les libertés fondamentales et, notamment, sur le respect de la vie privée.
Aujourd’hui, en 2018, les données du problème sont bouleversées. En effet, avec l’essor d’Internet et des plateformes numériques, les données personnelles sont devenues la matière première de l’activité des géants du Web, (=GOOGLE, Apple, Facebook et Amazone), et des réseaux sociaux. D’une part, il faut essayer de faciliter cette circulation d’information par ces réseaux, sans y mettre des entraves excessives, mais d’autre part il faut maintenir l’objectif de préserver les libertés des citoyens, « dont les données peuvent être erronées, collectées et conservées de manière injustifiée ou disproportionnée et, de surcroît, sont susceptibles de révéler, sur chaque personne, des habitudes, des préférences ou des opinions ». Telle est la dialectique du Règlement européen qui vient d’entrer en vigueur le 25 mai 2018 : Assurer la libre circulation de l’information, préserver les libertés des citoyens, notamment par le contrôle du juge administratif. A cet effet, le rôle du juge en général, et du juge administratif en particulier, qui entend maintenir en France sa place en tant que protecteur des libertés, est essentiel.
Mon intervention se déroulera en 4 points :
I HISTORIQUE : de 1978 à 2018
II ENTREE EN VIGUEUR DU RGPD (REGLEMENT EUROPEEN 2016-679 DU 27 AVRIL 2016, SUR LA PROTECTION DES PERSONNES PHYSIQUES A L’EGARD DU TRAITEMENT DES DONNEES)
III INCIDENCES DU RGPD SUR LE DROIT ADMINISTRATIF ET LE JUGE ADMINISTRATIF
IV JURISPRUDENCE

I HISTORIQUE : de 1978 à 2018
C’est avec la loi du 6 janvier 1978, qu’a été adoptée, en France, la première norme de droit français sur la protection des données (sous la présidence de M. Giscard d’Estaing, européen fervent). Le législateur de 1978 avait alors bien perçu la nécessité de réguler le traitement des données personnelles, en particulier par les organes de l’Etat et les personnes publiques en général, qui étaient alors perçues comme la source principale de danger. Et parmi les autorités qui suscitaient la méfiance du législateur, il y avait non seulement l’administration, mais aussi le juge, puisque l’article 2 de la loi de 1978, dans sa version initiale, disait : « Aucune décision de justice impliquant une appréciation sur un comportement humain ne peut avoir pour fondement un traitement automatisé d’information donnant une définition du profil ou de la personnalité de l’intéressé… ».
La grande nouveauté de la loi du 6 janvier 1978 a été la création d’une « COMMISSION NATIONALE DE L’INFORMATIQUE ET DES LIBERTES, qu’on appelle en français, par abréviation, CNIL, dotée de véritables pouvoirs de décision, la loi attribuant notamment à la commission un pouvoir normatif (pouvoir réglementaire).
La loi de 1978 a défini la CNIL, comme une AUTORITE ADMINISTRATIVE INDEPENDANTE. Il y a là un concept d’origine américaine (authority) ou peut être scandinave, mais il faut remarquer que dans les pays anglo-saxons, on soit réticent à qualifier ces organes comme « administratifs » .
En tout état de cause, en France, la CNIL a été qualifiée comme une autorité « administrative », mais à laquelle le législateur s’est efforcé de donner une composition destinée à garantir son indépendance :
Le législateur a donc opté pour une composition mixte, avec des parlementaires, des juges des 2 cours suprêmes administratives et judiciaires (Conseil d’Etat et Cour de cassation), des membres ès qualité nommés par le gouvernement… Le président de la commission est nommé par le président de la République. Le mandat des membres est de 5 ans. Cette composition est supposée assurer son indépendance, mais des critiques sont régulièrement émises à ce sujet .
Le fait que la CNIL (commission nationale Informatique et Libertés) ait été définie par la loi de 1978 comme une autorité administrative indépendante a une conséquence importante pour notre thème : Les diverses décisions que cet organisme prend vont être soumises au contrôle du juge administratif. Et dès les années qui suivent l’adoption de la loi de 1978, on trouve des décisions du Conseil d’Etat, qui annulent des décisions de la CNIL. Le Conseil d’Etat a donc affirmé son contrôle sur les décisions de cet organisme.
Bien entendu, la protection des données dans les années 1970 n’était pas une préoccupation exclusivement française. Elles se sont manifestées dans tous les pays européens, (pour me limiter au vieux continent) .
L’Allemagne semble avoir été, avec la loi fédérale de 1977, le premier pays à adopter un texte sur la protection des données personnelles. L’Italie a suivi le mouvement à son tour, notamment lorsqu’a été adoptée la loi du 31 décembre 1996 .
Avec l’apparition et le développement d’Internet est progressivement apparue la nécessité de réguler la matière au niveau européen.
D’abord, a été adoptée la directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 sur la protection des données personnelles (Richtlinie 95/46/EG des Europäischen Parlaments und des Rates vom 24. Oktober 1995 zum Schutz natürlicher Personen bei der Verarbeitung personenbezogener Daten und zum freien Datenverkehr) (Direttiva 95/46/CE del Parlamento europeo e del Consiglio, del 24 ottobre 1995, relativa alla tutela delle persone fisiche con riguardo al trattamento dei dati personali, nonché alla libera circolazione di tali dati).
En France, la directive du 24 octobre 1995 a été transposée relativement tard, par une loi du 6 août 2004, relative à la protection des personnes physiques.
Toutefois, le risque d’un manque d’harmonie entre les différents pays européens a imposé en 2016, l’adoption, non plus d’une directive, texte qui se limite à fixer des objectifs aux Etats membres, mais d’un règlement européen qui s’applique, à la différence d’une directive, directement et totalement dans les Etats membres. Il s’agit du règlement qui est l’objet de notre étude :
Le REGLEMENT EUROPEEN 2016-679 DU 27 AVRIL 2016, sur la protection des personnes physiques a l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données , abrogeant la directive 95/46/ce . Ce règlement est appelé en français, par abréviation, RGPD et je l’appellerai ainsi au cours de mon intervention.

II ENTREE EN VIGUEUR DU REGLEMENT EUROPEEN
Et c’est bien l’entrée en vigueur de ce règlement, le RGPD donc, qui pose problème.
D’abord, parce que c’est un texte long et touffu, (rien que dans l’introduction, il y a 173 considérants), complexe et technique, particulièrement difficile à aborder par les entreprises et les administrations, pour ne rien dire du juge !
Mais ce sont surtout les conditions de l’entrée en vigueur d’un règlement, adopté en 2015 après 4 années d’âpres négociations, qui posent une difficulté pour traiter notre sujet.
Première remarque, l’article 99 du règlement (Entrée en vigueur et application) dit que : « 1. Le présent règlement entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne. / 2. Il est applicable à partir du 25 mai 2018 » . 25 mai 2018, cela veut dire que si nous examinons les questions posées par l’application de ce règlement devant le juge administratif français, beaucoup de ces questions restent ouvertes ou relèvent même de la prospective juridique.
2ème remarque, comme il a déjà été dit, un règlement adopté par le Conseil et le Parlement européens, est d’application directe et s’impose en principe aux États membres à compter du 25 mai 2018. Il ne devrait donc pas être nécessaire, en théorie, de le transposer dans les législations nationales, comme on le fait pour une directive.
En fait, le RGPD contient deux catégories de dispositions : certaines se substituent complètement aux règles des Etats membres, par exemple en accordant directement des garanties aux personnes dont les droits ont été violés par un système de traitement des données . Mais sur d’autres points, le règlement est un peu comme une directive, il laisse aux Etats membres la possibilité de conférer des droits aux personnes ou d’imposer des obligations ou de prévoir des procédures dans le cadre national, en complétant ainsi le RGPD. C’est ce que l’on appelle les « marges de manœuvre nationales » laissées aux Etats membres.
Il en résulte qu’en France, la loi Informatique et libertés de 1978 reste en vigueur et est supposée compléter le RGPD : Mais une loi nouvelle a dû tout de même être adoptée par le parlement français pour modifier la loi de 1978 et la mettre, en principe, en conformité avec le règlement européen, le RGPD : Il s’agit de la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018, promulguée le 21 juin 2018, dite loi CNIL 3, qui vient donc d’une part rapprocher la loi française de la lettre du RGPD et d’autre part, exercer certaines « marges de manœuvre nationales ».
Toutefois, la complexité résultant de la combinaison du règlement européen et de la loi nationale n’a pas été, loin de là, complètement réglée avec la modification de la loi de 1978 par la loi du 20 juin 2018, tant et si bien qu’une ordonnance du gouvernement de réécriture complète de la loi de 1978 (Informatique et Libertés) est prévue dans un délai de six mois, ce qui veut dire que cette ordonnance interviendra en décembre prochain, afin de résoudre les difficultés de lisibilité de ce cadre juridique composite !
Nous sommes ainsi, en France, dans une situation où, en cas de conflit entre la loi nationale et le règlement européen, le juge appliquera normalement la loi interne, soit la loi de 1978 modifiée par la loi du 20 juin 2018, qui joue ainsi le rôle d’une « loi-écran » entre le droit européen et la réglementation française. Toutefois, les requérants ou les requérantes peuvent toujours soulever la contrariété de cette loi par rapport au règlement européen, le RGPD, ce qui déclenchera la procédure de contrôle de la conformité de la loi en cause par rapport au règlement européen, selon la procédure française dite de contrôle de conventionalité initiée par la jurisprudence du Conseil d’Etat Nicolo avec une éventuelle question préjudicielle posée à la Cour de justice de l’Union européenne sur l’interprétation du RGPD.
De plus, le droit national a dû être complété par un nouveau décret d’application de la loi Informatique et Libertés pour achever la mise en conformité du droit national au cadre juridique européen. Ce décret est intervenu le 1er août 2018.
Enfin, il y a eu une décision du Conseil constitutionnel français n° 2018-765 DC du 12 juin 2018. Dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori, des sénateurs ont déféré au Conseil constitutionnel la loi du 20 juin 2018, en dénonçant son inintelligibilité et en soutenant que le texte méconnaissait l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi compte tenu des divergences entre les dispositions de la loi du 6 janvier 1978, telle que modifiée, et le règlement européen du 27 avril 2016. Selon eux, cette absence de lisibilité serait de nature à « induire gravement en erreur » les citoyens quant à la portée de leurs droits et obligations en matière de protection des données personnelles. Le conseil constitutionnel a écarté cet argument et validé dans ses grandes lignes la loi.
Le juge administratif français va avoir un travail considérable pour interpréter l’ensemble de ces textes !
III LES INCIDENCES DU RGPD SUR LE DROIT ADMINISTRATIF ET LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE EN FRANCE
Elles sont multiples et il ne saurait être question ici de les analyser toutes.
J’évoquerai successivement : 1° les incidences sur l’activité de la CNIL, 2°les incidences sur les recours devant le juge administratif, 3° les incidences sur l’activité du juge.
1° Les incidences sur l’activité de la CNIL (commission nationale informatique et libertés)
Le RGPD s’est efforcé de redéfinir le rôle des autorités de protection des données des pays membres. Dans son article 4, au paragraphe 21, le RGPD parle en effet d’une «autorité de contrôle», autorité publique indépendante instituée par un État membre, qui est concernée par le traitement de données à caractère personnel.
Tout naturellement la loi française du 20 juin 2018, modifiant la loi du 6 janvier 1978, désigne la CNIL comme l’autorité de contrôle nationale au sens et pour l’application du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016.
L’adoption du RGPD entraîne une redéfinition et même un élargissement des pouvoirs de la CNIL (commission nationale de l’informatique et des libertés) par la loi du 20 juin 2018. Sur ce point, je me limiterai à mettre en évidence deux aspects de cette évolution des pouvoirs de la CNIL :
Premier aspect de l’évolution des pouvoirs de la CNIL : alors que le système juridique français privilégiait le contrôle a priori des traitements de données personnelles, le choix européen va au contraire dans le sens d’un contrôle a posteriori pour favoriser une libéralisation de l’espace communautaire. Ainsi et à part les cas où le droit des États membres peut maintenir des autorisations pour certaines catégories de données ou de traitements (par exemple en matière de santé), la plupart des obligations déclaratives et des autorisations préalables que délivrait la CNIL sont supprimées .
Deuxième aspect de l’évolution des pouvoirs de la CNIL : Le RGPD et la loi donnent aux autorités de protection et donc en France à la CNIL, des pouvoirs de sanction et notamment celui de prononcer des amendes administratives très importantes. L’article 83 du RGPD prévoit de façon assez précise les conditions relatives à ces amendes. En cas de violation du règlement, ces amendes seraient susceptibles désormais, selon le règlement, d’atteindre, selon la catégorie du manquement, 10 à 20 millions d’euros ou, dans le cas d’une entreprise, 2% à 4% du chiffre d’affaires annuel mondial, le montant le plus élevé étant retenu. Les États membres peuvent même prévoir ou non dans leur législation des amendes à infliger aux autorités et organismes publics. Mais la détermination de ces sanctions est laissée par le règlement à l’appréciation des Etats (c’est un exemple de « marge de manœuvre nationale »). Par exemple, la CNIL a infligé en juin 2018 une amende record de 250.000 euros à la chaîne de magasins d’optique Optical Center, pour une atteinte à la sécurité des données de ses clients. C’est la première fois que la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) impose une amende aussi forte . Mais on demeure pour l’instant loin du niveau des amendes de plusieurs millions d’euros prévues par le RGPD.
Accroissement des compétences de la CNIL, pouvoir d’infliger des sanctions administratives et des amendes d’un montant élevé, tout cela pourrait être la source d’un accroissement du contentieux devant les juridictions administratives.
2° Les incidences sur les recours devant le juge administratif :
Quelles vont être les conséquences de l’entrée en vigueur du RGPD sur les recours devant les juridictions administratives ?
a) sur les voies de recours :
Dans son chapitre VIII, en ses articles 77 à 82, le RGPD contient des dispositions sur les voies de recours. Dans ces articles, le RGPD prévoit que le droit à un recours juridictionnel doit être effectif.
En ce qui concerne les recours juridictionnels, le règlement distingue les recours juridictionnels contre une autorité de contrôle et les recours juridictionnels contre un responsable du traitement ou un sous-traitant.

-En ce qui concerne le droit à un recours juridictionnel effectif contre une autorité de contrôle, le système existant actuellement en France est le suivant : En matière de protection des données, il y a, comme on l’a déjà dit, une autorité administrative indépendante, qui est la CNIL. Cette autorité est nationale, qui a son siège à Paris. Le juge administratif normalement compétent à l’égard des décisions et actions de la CNIL est le CONSEIL D’ETAT, juridiction administrative suprême, ou pour reprendre l’expression usitée, « juge ultime de l’administration ». C’est ce que prévoit le code de justice administrative, qui dit en son article R.311-1 que le Conseil d’Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort (c’est-à-dire que dans ce cas, il n’y a pas plusieurs degrés de juridiction) : « 4° Des recours dirigés contre les décisions prises par les organes des autorités suivantes, au titre de leur mission de contrôle ou de régulation : la Commission nationale de l’informatique et des libertés » (CNIL). On a donc en France, du fait de l’activité de la CNIL, un contentieux centralisé devant le Conseil d’Etat, qui contrôle l’action de la CNIL, autorité unique nationale.
Ces voies de recours qui ont pour effet de confier au Conseil d’Etat le contrôle sur les activités et décisions de la CNIL paraissent a priori répondre aux exigences de droit à un recours juridictionnel effectif du règlement européen. Notamment, il faut noter que les décisions prises par la CNIL peuvent, comme toutes les autres décisions prises par des autorités administratives, faire l’objet des procédures de référé, référé suspension et référé liberté, prévues aux articles L.521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative français
– En ce qui concerne le droit à un recours juridictionnel effectif contre un responsable du traitement ou un sous-traitant, lorsqu’une personne estime que ses droits ont été violés du fait d’un traitement de ses données à caractère personnel par une personne privée ou publique, l’entrée en vigueur du RGPD a imposé des modifications de la loi française.
D’abord, il faut mentionner l’introduction d’une procédure très particulière qui est destinée à permettre à la CNIL de demander au Conseil d’Etat la suspension d’un transfert de données personnelles vers un pays tiers ou à une organisation internationale. L’article 45 du RGPD prévoit en effet en cas de transfert de données à caractère personnel une décision de la Commission européenne, qui constate que le pays tiers ou l’organisation internationale assure un niveau de protection adéquat. Dès lors, la loi française du 20 juin 2018 est venue conférer la possibilité à la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés donc, lorsqu’elle est saisie d’une réclamation par une personne intéressée qui estime que ses droits et libertés sont violés par un transfert de données, de demander au Conseil d’Etat d’ordonner la suspension de ce transfert. La compétence du Conseil d’Etat est justifiée ici par le fait que la légalité d’une décision de la commission européenne est en jeu. La particularité de la procédure ainsi organisée est que la loi prévoit l’obligation pour la CNIL, lorsqu’elle introduit ce recours, de demander au Conseil d’Etat de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne en vue d’apprécier la validité de la décision de la Commission européenne prise sur le fondement de l’article 45 du RGPD. Il y a là l’introduction d’une voie de recours tout à fait particulière dans le droit français, dont le champ d’application est large, que le transfert de données soit le fait d’une personne publique ou privée.
Ensuite, il faut mentionner l’adoption, dans la récente loi du 20 juin 2018, d’une disposition (article 46 IV de la loi du 6 janvier 1978 modifiée), selon laquelle « le président de la CNIL peut demander, par la voie du référé, à la juridiction judiciaire ou administrative, d’ordonner, le cas échéant sous astreinte, toute mesure nécessaire à la sauvegarde de ces droits et libertés ». Avec ces dispositions, le président de la CNIL est consacré, devant les juridictions judiciaires et administratives comme un requérant privilégié, dont l’intérêt à agir devant les juridictions administratives ou judiciaires est directement consacré par la loi. Ainsi, le président de la CNIL va pouvoir exercer les recours de référé prévus devant le juge judiciaire ou le juge administratif.
Pour ce qui concerne le juge administratif, à vrai dire, dès 2005, soit dès après l’introduction de la directive de la directive de 2004, il avait été introduit une modification en ce sens du code de justice administrative . Mais avec un article R.555-1 , introduit dans le code de justice administrative le 1er août 2018, c’est bien l’application du RGPD qui est désormais visée, en application de la loi du 20 juin 2018. Le type d’action engagé par le président de la CNIL devant le juge administratif contre une personne publique « coupable » d’une violation dans le traitement des données qui mettrait en péril gravement une liberté fondamentale, peut être porté devant n’importe quelle juridiction administrative française, en fonction du siège de l’autorité publique qui méconnaitrait les dispositions du RGPD et de la loi. Le code de justice administrative précise que dans ce cas, l’action du président de la CNIL doit être engagée sur le fondement de l’article L 521-2 du code de justice administrative. Il faut rappeler que c’est une procédure d’extrême urgence (le juge doit statuer dans les 48 heures), permettant au juge d’ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale.
En ce qui concerne l’application de l’article R.555-1 du code de justice administrative, je vois pour la jurisprudence future du Conseil d’Etat une belle question à trancher du fait de la combinaison de la loi de 2018 avec l’article L 521-2 du même code : En cas de saisine d’une juridiction administrative dans le cadre d’un référé liberté par le président de la CNIL, est ce que c’est la condition d’une urgence simple qui s’applique, ce qui pourrait résulter de la loi du 20 juin 2018, ou la condition d’extrême urgence telle qu’elle est prévue par la procédure du référé-liberté… ?
Ajoutons qu’une autre disposition du code de justice administrative prévoit, depuis 2005, une procédure semblable en ce qui concerne un autre référé possible devant la juridiction administrative, dit référé mesures utiles (L.521-3 du code de justice administrative). Toute personne peut demander au juge administratif des référés de prononcer « toutes mesures utiles de nature à éviter toute dissimulation ou toute disparition de données à caractère personnel par l’Etat, une collectivité territoriale ou toute autre personne publique ».

b) sur l’action de groupe :
Des questions relatives à l’intérêt ou la qualité pour agir se posent en ce qui concerne l’application de l’article 80 du RGPD :
– L’article 80 du RGPD confère en effet directement à la personne dont les droits ont été violés le droit de « mandater un organisme, une organisation ou une association à but non lucratif, …, dont les objectifs statutaires sont d’intérêt public et est actif dans le domaine de la protection des droits et libertés des personnes concernées dans le cadre de la protection des données à caractère personnel les concernant, pour introduire une réclamation en son nom, exerce en son nom les droits visés aux articles 77, 78 et 79 et exerce en son nom le droit d’obtenir réparation visé à l’article 82 lorsque le droit d’un État membre le prévoit ». Observons que qu’il s’agit là d’un droit directement conféré à la personne, et qui est donc directement applicable en droit interne français. Pour la France, il concerne spécialement les recours en responsabilité, ou les recours de pleine juridiction. Rappelons que la juridiction administrative française ne juge pas les seuls recours en annulation d’une décision administrative, mais qu’une part très importante de son activité est consacrée à l’examen des recours en responsabilité contre les personnes publiques.
L’article 80 du RGPD consacre l’abandon d’un principe fondamental qu’on appliquait traditionnellement devant la juridiction administrative française, qui disait : « Nul ne plaide par procureur » « nemo petit ab accusatore ». La jurisprudence traditionnelle qui interdit à un groupement, par exemple un syndicat ou une association, d’introduire directement un recours au lieu et place de la personne lésée n’est ainsi, dans la matière de la protection des données à caractère personnel, plus valable, du moins pour les recours tendant à engager la responsabilité des personnes publiques, Etat, communes, etc…
Les commentateurs estiment qu’ainsi, le RGPD prévoit une action de groupe. On vise ainsi une procédure de poursuite collective qui permet par exemple à des consommateurs, victimes d’un même préjudice de la part d’un professionnel, de se regrouper et d’agir en justice. Les plaignants peuvent par exemple se défendre avec un seul dossier et un seul avocat. Précisons que ces actions de groue peuvent donner au lieu à des actions devant l’ensemble des juridictions administratives.
En fait, l’action de groupe a été introduite en France dès 2014, dans le domaine de la consommation , et elle a fait l’objet d’une loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, dite de modernisation de la justice du XXIe siècle, qui a créé un cadre légal commun aux actions de groupe en matière judiciaire et administrative et qui vient modifier profondément, voire bouleverser, les règles traditionnelles, notamment en matière d’intérêt et de qualité pour agir.
Cette loi de 2016, qui a entrainé une modification du code de justice administrative, a été adoptée après l’édiction du RGPD, mais avant son entrée en vigueur, ce qui fait que le code de justice administrative a défini, sur la base de la loi de 2016, avec un grand luxe de détails, la portée des actions de groupe en général et aussi en particulier des actions ouvertes sur le fondement de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés (article 43 ter).
L’action de groupe prend deux formes : elle peut être exercée en vue soit de l’engagement de la responsabilité de la personne ayant causé le dommage afin d’obtenir la réparation des préjudices subis, soit de la cessation du manquement mentionné au premier alinéa, soit les deux en même temps. Selon le code de justice administrative modifié, lorsque l’action de groupe tend à la cessation d’un manquement, le juge, s’il constate l’existence de ce manquement, dispose d’un pouvoir d’injonction au défendeur de cesser ou de faire cesser ledit manquement et de prendre, dans un délai qu’il fixe, toutes les mesures utiles à cette fin.
Cependant, pour tenir compte du RGPD, la loi du 18 novembre 2016 a dû être modifiée par la loi du 20 juin 2018, avec l’objectif en particulier de préciser les conditions d’application du code de justice administrative relative aux actions de groupe en matière de manquement par une personne publique aux dispositions du RGPD.
L’idée principale à retenir est que l’action de groupe est limitée aux :
1° Les associations régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins ayant pour objet statutaire la protection de la vie privée et la protection des données à caractère personnel ;
2° Les associations de défense des consommateurs représentatives au niveau national et agréées,
3° Les organisations syndicales de salariés ou de fonctionnaires représentatives ou les syndicats représentatifs de magistrats de l’ordre judiciaire, lorsque le traitement affecte les intérêts des personnes que les statuts de ces organisations les chargent de défendre.
– L’article 81 du RGPD introduit une sorte de sursis à statuer pour les juridictions européennes au cas où une action contre le même responsable du traitement ou le même sous-traitant est pendante devant la juridiction d’un autre Etat membre, toute juridiction compétente autre que la première juridiction saisie en premier lieu peut « suspendre son action », c’est-à-dire surseoir à statuer. Il y a là, selon le règlement, une possibilité et non une obligation.
Par ailleurs, le RGPD contient, en son article 82, des dispositions spécifiques aux recours en responsabilité : Il confère à toute personne ayant subi un dommage matériel ou moral du fait d’une violation du présent règlement le droit d’obtenir du responsable du traitement ou du sous-traitant réparation du préjudice subi. A vrai dire, et sous réserve de règles relatives à la solidarité et à la subrogation entre plusieurs responsables du traitement ou sous-traitants en cas de dommage causé par un traitement, les règles fondamentales en vigueur dans le droit interne français ne paraissent pas substantiellement modifiées, notamment au niveau des règles d’imputabilité.
3° Les incidences sur l’activité du juge :
Enfin, je me bornerai à évoquer que, dans le cadre des « marges de manœuvre nationales », la loi du 20 juin 2018 précise, en son article 10, « qu’aucune décision de justice impliquant une appréciation sur le comportement d’une personne ne peut avoir pour fondement un traitement automatisé de données à caractère personnel destiné à évaluer certains aspects de la personnalité de cette personne ».
Dans cette optique, l’anonymisation des décisions de justice contenues dans les banques de données devant la juridiction administrative française, qui est en pratique depuis quelques années déjà, va dans le sens du RGPD.
IV JURISPRUDENCE
Je n’ai pas trouvé de jurisprudence récente quant aux questions soulevées par l’entrée en vigueur du RGPD et de la loi du 20 juin 2018, à part la décision du conseil constitutionnel n° 2018-765 DC du 12 juin 2018, évoquée plus haut.
Je me limiterai à citer les quelques décisions suivantes :
– Conseil constitutionnel n°2016-536 QPC du 19 février 2016, Ligue des droits de l’Homme, cons. 11 et 14 : A cet égard, si le contexte de l’état d’urgence justifie l’exercice d’un contrôle juridictionnel a posteriori sur des mesures de perquisition administrative, il ne saurait pour autant permettre la saisie de données informatiques, ni leur exploitation, sans l’autorisation préalable d’un juge :
– 9 mars 2018 : la CNIL, en tant que personnalité chargée de s’assurer du contrôle de la liste noire, et donc ici requérante, saisit le tribunal administratif de Paris pour contester la décision du ministre de l’intérieur selon laquelle 4 publications d’Indymedia, qui revendiquaient des incendies commis dans plusieurs villes de France seraient des incitations au terrorisme. (Source site Nextimpact).
– Conseil d’Etat : 3 juin 2013 n° 328634 : le Conseil a décliné sa compétence en premier et dernier ressort pour statuer sur un recours formé contre une décision de la CNIL refusant l’accès aux données d’un fichier à un demandeur par le ministre de l’intérieur. En fait, il ne s’agissait pas d’une véritable décision de la CNIL, qui s’était bornée en l’espèce à notifier une décision du ministre de l’intérieur.
– Conseil d’Etat 7 février 2014 : sur une sanction 150 000 euros prononcée par la CNIL contre Google pour manquement aux règles de protection des données. Pas d’urgence à statuer.
– Conseil d’Etat Ordonnance du 19 février 2008 : premier référé suspension à l’encontre d’une décision de sanction de la CNIL. Le juge des référés rejette la requête d’une demande de suspension de l’exécution d’une décision de la CNIL enjoignant de cesser la mise en œuvre d’un traitement. Le Conseil d’Etat juge que la CNIL est une juridiction au sens de l’article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. La CNIL doit donc agir comme un tribunal indépendant et impartial et ses audiences doivent être publiques.
– CONCLUSION
Sujet qui combine la complexité de l’informatique et du droit ! L’impression dominante est la complexité de l’articulation entre le droit national et le droit européen. Le juge national, et dans notre cas, le juge administratif est, bien sûr, chargé de l’application du droit national. Il est aussi chargé, selon le système voulu par les Traités européens, de l’application du droit européen, sous réserve du renvoi à la Cour de justice de l’union européenne, en assurant le cas échéant, la supériorité de ce droit sur les lois et les règlements adoptés au niveau national. Ce système n’est pas simple, mais il fonctionne bien somme toute, sous réserve du délicat problème que peut poser un éventuel conflit pour le juge entre l’application les normes européennes et les normes constitutionnelles de droit interne. En tout cas, dans cette pyramide, le juge administratif tient sa place pour garantir les libertés des citoyens. Mais avec l’entrée en vigueur de ce RGPD, on voit qu’il apparaît nécessaire de faire évoluer la norme européenne dans la matière spéciale de la protection des données. Et dans cette matière, les procédures de contrôle juridictionnel par le juge administratif, qui ces dernières années, ont connu en France, une profonde évolution, essentiellement avec l’introduction dans les années 2000 des procédures de référé suspension et de référé liberté), s’adaptent, aux prix d’une complexité au niveau des normes qui devient toujours plus grande : les dérogations, les exceptions, les procédures particulières se multiplient, au point que l’architecture générale peut devenir difficile à comprendre pour le requérant et pour le praticien lui-même. Est-ce le signe d’une crise du droit ? une crise du contrôle juridictionnel, en particulier du système de dualité de juridictions ? Est-ce un aspect de la crise européenne ? Est-ce simplement une complexité nécessitée par le monde actuel ? Je vous laisse le soin d’y réfléchir

Turin panorama seen from the hill, with Mole Antonelliana (famous ugly wedding cake architecture)

Relazione francese del dott. Dubois-Verdier – Torino 16/10/2015

L’istruttoria nel processo amministrativo e l’accesso al fatto da parte del giudice.

L’INSTRUCTION DANS LA PROCEDURE JURIDICTIONNELLE ADMINISTRATIVE ET L’ACCES DU JUGE AUX FAITS

Par Jean-Michel DUBOIS-VERDIER

Président de tribunal administratif honoraire

 

INTRODUCTION

Care colleghe e cari colleghi,

Liebe Kolleginnen und Kollegen,

Chères (chers) collègues,

 

 

Raymond Odent, l’une des grandes figures du contentieux administratif en France, parlait, dans son célèbre cours, de l’instruction comme un « processus qui est en grande partie actionné par le juge lui-même»[1]. Une telle approche met bien en avant le rôle fondamental du juge administratif dans l’instruction.

 

Initialement, c’est le Conseil d’Etat français lui-même, dans sa jurisprudence, qui a fixé les règles gouvernant l’instruction. Ce n’est pas étonnant si l’on songe que l’ensemble du droit administratif français a été à l’origine une création « prétorienne », c’est-à-dire une création du juge. Et concernant l’accès du juge aux faits, comment ne pas évoquer deux grands arrêts du Conseil d’Etat, que tous les étudiants en droit connaissent en France, les arrêts Gomel (1914) et Camino (14 janvier 1916), par lesquels le Conseil d’Etat s’est reconnu le pouvoir de contrôler la qualification des faits puis la matérialité des faits. Mais en ce qui concerne les pouvoirs d’instruction, c’est l’arrêt Barel, du 28 mai 1954, qui est l’arrêt fondateur[2]. Dans cette affaire, le Conseil précise les pouvoirs d’instruction du juge administratif. Les requérants se prévalaient à l’appui de leurs allégations de présomptions sérieuses, à savoir que leurs candidatures à la prestigieuse E.N.A. (Ecole Nationale d’Administration) avaient été écartées uniquement en raison de leurs opinions politiques, et plus précisément de leur appartenance au parti communiste, mais sans apporter aucune preuve. Le Conseil d’Etat a alors exigé de l’administration qu’elle produisît tous documents permettant d’établir la conviction du juge et notamment des dossiers sur la candidature de chacun des requérants. L’administration refusa de déférer à cette demande. La Haute Assemblée en déduisit que les allégations des requérants, selon laquelle ils avaient été écartés en raison de leurs seules opinions politiques, devait être regardées comme établies.

Dans cet arrêt Barel, le Conseil d’Etat français proclame, par voie jurisprudentielle, que la procédure devant les juridictions administratives et plus particulièrement la procédure d’instruction est une procédure inquisitoire, c’est-à-dire qu’elle donne l’essentiel du pouvoir d’instruction au juge, contrairement à la procédure civile, qui est de type accusatoire, c’est-à-dire à l’initiative des parties au litige, et semblablement au contraire à la procédure pénale française, qu’on dira traditionnellement de type inquisitorial.

Toutefois, le droit administratif français a fortement évolué depuis l’arrêt Barel (1954). Il est devenu beaucoup moins jurisprudentiel : il a connu un important processus de codification, c’est-à-dire que les lois et règlements  se sont multipliés et ont été regroupés et systématisés dans des codes qui constituent désormais le fondement du droit applicable. C’est ainsi qu’en 1987, un code est venu régler l’activité contentieuse des juridictions administratives françaises, qui a pris le nom en 2001 de « code de justice administrative »[3]. Tout une partie de ce code de justice administrative est consacré à la procédure d’instruction. [4]

L’avantage de la codification est indéniable : le juge a désormais à sa disposition de nombreux moyens d’instruction, dont le justiciable et l’administration peuvent prendre facilement connaissance. Mais la codification, en définissant des procédures strictes, enserre aussi le juge dans des contraintes nouvelles.

Il résulte de cette évolution historique le juge administratif français, afin de rechercher les faits, dispose aujourd’hui de pouvoirs d’investigation de plus en plus larges, dont il use dans le cadre d’une procédure inquisitoriale. C’est ce que nous verrons dans une première partie. Ces pouvoirs d’investigation sont-ils suffisants ? Ne comportent-ils pas des limites ? C’est ce que nous verrons dans une deuxième partie.

 

I Des pouvoirs d’investigation de plus en plus larges dans le cadre d’une procédure inquisitoriale.

Avec l’inscription dans le code de ces pouvoirs et les nombreuses modifications qui y sont sans cesse apportées, on peut dire qu’il y a un mouvement constant d’élargissement et de diversification des pouvoirs d’investigation du juge administratif français (A). Ces pouvoirs s’inscrivent dans le cadre d’une procédure inquisitoriale, selon les règles dégagées par l’arrêt Barel de 1954 (B).

  1. Des pouvoirs d’investigation de plus en plus larges

On peut distinguer les pouvoirs traditionnels des pouvoirs nouveaux.

1°) Les pouvoirs d’investigation traditionnels :

  1. L’expertise : on a là un moyen d’investigation très largement utilisé par le juge administratif français et depuis fort longtemps. C’est vraiment la mesure d’instruction la plus souvent utilisée par le juge pour établir les faits d’une espèce.

Il y a deux types de mesures d’expertise. L’expertise peut être ordonnée par la formation collégiale de jugement, lorsque celle-ci, après avoir instruit l’affaire, estime qu’il faut déterminer complètement des éléments de fait pour la résolution d’un litige : le plus souvent, l’expertise a pour objet de statuer sur des éléments techniques, que le juge est dans l’incapacité de déterminer lui-même. Soit il s’agit de déterminer la cause d’un phénomène, souvent ce sera la cause d’un dommage, soit de décrire son étendue et ses conséquences.  C’est un jugement avant dire droit, émanant de la formation collégiale, qui va ordonner l’expertise. Les juges en général, décident proprio motu l’expertise, quand ils estiment que l’instruction du dossier ne permet pas de réunir tous les éléments de fait.

Mais une mesure d’expertise peut être aussi obtenue à l’initiative d’une partie par une autre voie, celle qui consiste à saisir le juge des référés (qui est un juge unique). Cette expertise en référé peut être obtenue très facilement, car le code de justice administrative impose peu de conditions. La condition essentielle c’est que la mesure soit utile. Il n’y a aucune limite quant au domaine dans lequel elle peut être ordonnée. Il n’est pas besoin d’une décision administrative préalable. Aussi les parties demandent souvent cette expertise, souvent avant même d’engager une instance au fond, pour obtenir du juge administratif que soient recueillis des éléments de fait qu’elles ne pourraient réunir par elles-mêmes. Un des exemples les plus fréquents est celui d’un dommage subi par un patient dans un hôpital public[5] afin de déterminer si le dommage subi par une victime est dû à une faute dans l’acte médical ou dans les soins qui ont été prodigués.

En volume d’activité, les expertises constituent une part considérable de l’activité des tribunaux administratifs en France. Elles interviennent dans les domaines les plus variés. En général, elles interviennent plutôt dans le contentieux de pleine juridiction (marchés publics, responsabilité de l’administration, notamment expertises médicales), mais elles peuvent aussi intervenir, dans des proportions moins fréquentes, dans le contentieux de l’excès de pouvoir.

On peut  évoquer aussi la procédure de constat[6] : C’est une mesure assez semblable à l’expertise, mais qui se limite à la seule constatation de faits qui peuvent donner lieu ensuite à un litige devant le tribunal administratif. Le constat permet de décrire très rapidement la situation exacte de ces immeubles à un moment donné.  C’est une procédure très simple, très employée devant les tribunaux administratifs français et qui peut donner lieu à un nombre considérable de dossiers (il peut arriver qu’il y ait plusieurs centaines d’affaires du même type). L’exemple classique, c’est lorsque des travaux publics causent des dommages à des immeubles. C’est le cas pour la construction de lignes de trams dans les villes.

L’expertise, comme le constat, consistent à confier l’investigation des tiers à un tiers, parce que le juge n’est pas en état de les mener lui-même.

  1. La visite des lieux par les magistrats : cette procédure consiste dans le déplacement d’un ou plusieurs membres d’une formation de jugement pour faire les constatations de fait nécessaires ou entendre toute personne à cette fin. Cette procédure est très utilisée dans certains contentieux comme le contentieux de l’urbanisme, où bien souvent la seule lecture des plans et documents fournis par les parties ne permet pas au juge de forger sa conviction sur la réalité des choses.

2° Les nouveaux pouvoirs d’instruction :

Il y en a beaucoup et je ne les évoquerai pas tous.

 

 

  1. L’enquête :

Elle porte, selon le code, sur les faits dont la constatation paraît utile à l’instruction de l’affaire (R 623-1). Le code de justice administrative la détaille minutieusement. Ce peut être soit une enquête à la barre (lors d’une audience publique au tribunal), soit in situ, sur les lieux. Elle est, je dois dire, et d’après mon expérience, encore peu utilisée devant les tribunaux administratifs en France. Par contre, le Conseil d’Etat y a eu recours plusieurs fois ces dernières années, en 2003, 2006, 2009 et 2013.

Ce qui est intéressant dans cette procédure, c’est qu’elle prévoit expressément la possibilité de recourir à des témoignages, chose assez inhabituelle pour la juridiction administrative française, qui a traditionnellement pour règle de s’en tenir aux seuls documents écrits. Ainsi, les parties à une instance ont la possibilité de présenter leurs témoins. Et la formation de jugement peut entendre toute personne dont l’audition peut être utile à la manifestation de la vérité, selon l’expression consacrée[7].

  1. L’amicus curiae,[8]

A l’origine notion de droit romain, l’Amicus curiae est une « notion de droit interne anglo-américain désignant la faculté attribuée à une personnalité ou à un organe non-partie à une procédure judiciaire de donner des informations de nature à éclairer le tribunal sur des questions de fait ou de droit »[] (Wikipedia).[9]

Introduit en 2010 [10] dans le contentieux administratif français par un décret[11] , la procédure est bien spécifique à la juridiction administrative française. Elle consiste en la consultation d’un sage. Cela permet aux juridictions d’ouvrir l’instruction de certaines affaires à des personnalités qui ne sont ni magistrats ni experts, tels par exemple des professeurs de droit, des philosophes ou des biologistes pour recueillir leurs réactions dans des affaires liées à la personne ou à l’éthique. Aucune rémunération n’est prévue…  Le Conseil d’Etat français y a eu recours 2 fois : une première fois dans une affaire qui soulevait une question de droit international public, pour laquelle la Haute assemblée a consulté M. Gilbert Guillaume, ancien président de la Cour internationale de justice ; une seconde fois lors de l’affaire Lambert pour l’application de la loi Leonetti (affaire qui est l’équivalent français des affaires Eluana Englaro ou Terry Schiavo en Italie) pour laquelle ont été consultés l’Académie nationale de médecine, le comité consultatif national d’éthique le conseil national de l’ordre des médecins ainsi que M. Jean Leonetti (médecin cardiologue de formation toujours en exercice, homme politique français, principalement connu pour avoir donné son nom à la loi Leonetti du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie) afin qu’ils présentent leurs observations de nature à éclairer utilement la Haute Assemblée sur les notions d’obstination déraisonnable et de maintien artificiel de la vie.

  1. l’instruction dans le cadre du référé :

J’ai déjà au cours de cette intervention parlé du rôle du juge des référés en matière d’instruction, au niveau de la procédure d’expertise et de constat. Je voudrais ici signaler un rôle du juge des référés moins souvent mis en évidence mais qui est extrêmement important pour recueillir des éléments de fait ou des éléments de preuve fondamentaux pour l’instruction. Par exemple, dans le cadre de la procédure de « référé suspension », qui vise à la suspension d’un acte administratif, le tribunal administratif ouvre deux dossiers : le dossier de référé, qui est jugé en urgence, et le dossier de fond, qui est un dossier classique de recours en annulation. Lorsque le juge tient une audience dans le cadre d’un référé suspension, il est autorisé à recueillir des observations orales, contrairement aux dossiers de fond où la procédure est exclusivement écrite. Le juge des référés peut être amené à l poser de nombreuses questions, entendre des déclarations, recueillir des avis voire des témoignages, et recevoir des pièces fondamentales pour l’instruction de l’affaire. Dans ce cadre, le juge des référés peut jouer ainsi un rôle fondamental dans l’instruction d’un dossier en recueillant des éléments de fait qui ne figureraient pas dans un dossier ordinaire[12].

Il faut aussi évoquer une autre procédure de référé, celle fondée sur l’article L 521-3 du code de justice administrative, qui permet de présenter une requête, en cas d’urgence, pour que le juge des référés ordonne toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative.

  1. B) une procédure inquisitoriale :

Ce qu’il est très important de comprendre, c’est que les mesures que je viens d’évoquer ci-dessus sont décidées par le juge, ou comme on dit, de façon juridique, elles relèvent du seul office du juge. Le juge peut les décider proprio motu, c’est-à-dire sans qu’aucune partie ne les aient demandées. C’est le cas lorsque la formation collégiale de jugement, au cours d’une séance d’instruction, se rend compte qu’il manque un élément de fait essentiel pour la solution du litige. On rend alors un jugement, dit jugement avant dire droit, ou pour rentrer dans les raffinements de la technique juridique, un jugement avant plus amplement dire droit pour ordonner une expertise, par exemple, ou une enquête. L’instruction est alors réouverte et les parties ont la possibilité de s’exprimer sur tout élément nouveau qui peut survenir à la suite du supplément d’instruction. Ainsi, lorsqu’un rapport d’expertise est terminé, le rapport est communiqué aux parties pour qu’elles puissent présenter leurs observations.

Les pouvoirs d’investigation peuvent naturellement être aussi mis en œuvre à la demande d’une ou de plusieurs parties à un litige. C’est le cas, on l’a vu, lorsqu’une expertise est demandée par une requête en référé. Toutefois, le juge n’est jamais tenu d’accéder à la demande des parties. Ainsi, si une mesure d’expertise peut être très facilement obtenue en référé, dans la mesure où la seule condition est qu’elle soit utile, il peut arriver, et cela est fréquent, que le juge rejette une telle demande. En ce sens, la procédure devant le juge administratif français est bien une procédure inquisitoriale. C’est le juge et lui seul qui détermine les conditions de son intervention dans la recherche des faits.

Lorsqu’on parle de procédure d’instruction à caractère inquisitorial, on peut se poser la question de savoir quel juge exactement exerce ainsi les pouvoirs d’investigation : est-ce un juge unique [13] (ou est-ce un collège, c’est-à-dire une chambre au sein du tribunal ?

En principe, au sein de la juridiction administrative française, les mesures d’instruction destinées à une investigation des faits sont décidées par une formation collégiale, c’est-à-dire par une chambre au sein du tribunal après qu’un débat intervienne entre les magistrats composant la formation de jugement. Mais ces pouvoirs d’investigation peuvent être mis en œuvre par un juge statuant seul, soit parce que, comme on l’a vu, celui-ci agit comme juge des référés, soit parce qu’il statue dans des matières que le code de justice administrative confie à la compétence d’un seul juge et non d’une formation collégiale. Je donnerai un seul exemple : dans la matière des bâtiments menaçant ruine[14], le code donne expressément compétence à un juge statuant seul pour statuer et ordonner les mesures d’expertise.

Dans tous les cas où un juge doit statuer seul, le code de justice administrative exige un certain grade dans la hiérarchie ou une certaine ancienneté. Ainsi, les référés ne peuvent être décidés que par un magistrat ayant le grade de président ou ayant une ancienneté minimale de deux ans, pourvu qu’ils aient atteint le grade de premier conseiller.

Quant aux investigations qui peuvent être menées dans le cadre de mesures d’instruction ordinaires, ainsi la demande adressée à une partie pour produire un document jugé utile à la solution d’un litige, elles sont en général ordonnées par le conseiller rapporteur en charge du dossier.

Au total, on voit que le juge administratif français dispose de pouvoirs d’investigation de plus en plus étendus, qui sont exercés dans le cadre d’une procédure inquisitoriale qui donne un pouvoir prépondérant au juge. Ce système qui paraît rodé, mais en même temps toujours en voie de perfectionnement, est-il satisfaisant ? Permet-il toujours au juge d’accéder aux faits et de permettre la manifestation de la vérité devant nos juridictions administratives françaises ?

 

 

II Les limites aux pouvoirs d’investigation du juge

Je distinguerai deux sortes de limites : d’une part, des limites tenant à la manière dont le juge exerce son office (A), et d’autre part, des limites qui s’imposent au juge (B).

  1. A) Les limites tenant à la manière dont le juge exerce son office

1°) La limitation de la durée de l’instruction

Il peut arriver que le juge administratif décide de ne pas soumettre une requête à l’instruction. C’est ce qu’on appelle la procédure de tri des requêtes.

 

Il faut bien noter que ces procédures de tri permettent au juge de rejeter sans instruction une requête non seulement parce qu’elle est irrecevable ou que la juridiction saisie est incompétente, mais aussi parce qu’un rapide examen montre qu’elle n’a aucune chance d’aboutir au fond. Il y a là un pouvoir exorbitant du juge pour apprécier les faits, du moins tels qu’ils apparaissent, ab initio, dans la requête. Bien souvent, le juge rejette de cette manière une requête qu’il estime trop imprécise. Aussi, ces pouvoirs ne sont-ils confiés par le code qu’aux magistrats ayant le grade de président ou, dans le cas des référés, aux magistrats ayant une certaine ancienneté[15].

En outre, il faut évoquer aussi la fin anticipée du processus d’instruction,  avant que l’affaire soit appelée à une audience. Le processus d’instruction se termine en effet par un acte que l’on appelle la clôture d’instruction. Celle-ci peut intervenir de façon anticipée, à une date déterminée, fixée par une ordonnance. C’est une pratique devenue courante dans les tribunaux administratifs aujourd’hui, destinée à éviter qu’une affaire ne donne lieu à l’échange d’un trop grand nombre de mémoires et gonfle de façon excessive le dossier.

Un  tel système a pour effet d’enfermer les parties dans un délai limité pour produire devant le juge les éléments de fait qui peuvent soutenir leurs allégations.

Bien entendu, il est toujours possible pour les parties de demander au juge de réouvrir l’instruction. Mais il faut alors qu’elles ont été dans l’impossibilité de produire tel ou tel élément avant la clôture.

2° La pratique de l’instruction :

J’ai dit et redit que la procédure d’instruction devant la juridiction administrative a un caractère inquisitoire. En principe, le demandeur n’a pas la charge de la preuve mais doit seulement se montrer précis et réunir, à l’appui de ses allégations, tous les moyens de preuve dont il peut disposer. La règle est qu’il faut apporter au juge des éléments sérieux, des présomptions, c’est-à-dire en gros une argumentation sérieuse et vraisemblable pour l’amener à douter sur le bien fondé de l’attitude de la puissance publique dans une affaire[16]. Toutefois, cette règle s’applique surtout dans le contentieux de l’excès de pouvoir, où il s’agit d’apprécier la légalité d’un acte administratif. Dans le contentieux de pleine juridiction, qui est le plus souvent  un contentieux de l’indemnité, la règle est que le demandeur  a la charge de la preuve devant le juge[17], sous réserve il est vrai, de certains cas où la charge de la preuve incombe au contraire à l’administration[18]. Incontestablement, cette charge de la preuve sur le demandeur, qui est le plus souvent devant le juge administratif une personne privée et qui a plus de difficulté à réunir des preuves, avantage l’administration, crée un déséquilibre entre les personnes privées et les personnes publiques. Même quant la charge de la preuve incombe à l’administration, celle-ci est presque toujours capable de fournir au juge des éléments de preuve qui viennent fortifier sa position. On le voit bien dans le contentieux fiscal.[19]

En outre, et même dans le contentieux de l’excès de pouvoir, la pratique, pour ne pas dire la dérive d’un juge aujourd’hui amené à traiter un nombre considérable de dossiers, d’une complexité extrême, est qu’il constate que « si le requérant allègue certains faits, il ne les établit pas », autrement dit il n’en apporte pas la preuve. C’est en particulier le cas dans les dossiers d’urbanisme.

  1. Les limites qui s’imposent au juge

1° La fiabilité des documents produits par les parties

La fiabilité des documents produits par les parties, surtout privées, peut poser problème. Que se passe-t-il quand une partie produit un faux devant le juge administratif ? Il existe une procédure « d’inscription de faux », qui permet à une partie de contester une pièce produite (article R 633-1 du code de justice administrative). Il s’agit d’une procédure de droit civil, ancienne, puisqu’elle remonte à 1806, mais elle est extrêmement lourde et périlleuse pour la partie qui demande sa mise en œuvre. Elle implique de saisir la juridiction civile. Elle n’est pratiquement pas employée par les juridictions administratives. En effet, le Conseil d’Etat français  a jugé qu’elle était sans effet sur les actes et documents administratifs : les actes administratifs ne font foi que jusqu’à preuve du contraire, sauf s’il y a une loi qui en décide autrement[20]. Dans le cas d’un acte ou document administratif dont une partie soutient qu’elle est un faux, le juge administratif  se prononce lui-même sur la validité de cet acte.

Les documents administratifs produits par l’administration sont en général fiables. Mais des problèmes peuvent apparaître, par exemple, comme l’authenticité d’une signature apposée sur un document public ou sur l’exactitude des mentions portées sur une délibération d’un conseil municipal. En ce qui concerne les documents administratifs qui font l’objet d’un affichage en mairie, c’est le maire lui-même qui délivre un certificat quant à la date d’affichage, bel exemple de preuve à soi-même. La fiabilité des documents postaux relatifs à l’acheminement du courrier est souvent mise en doute par les requérants dans le contentieux du permis de conduire à points, mais il appartient à la partie qui met en doute la fiabilité d’un tel document d’apporter une preuve de l’inexactitude des mentions portées sur ce document

2° Le secret

Dans l’investigation des  dossiers, le juge administratif peut se heurter à plusieurs types de secret qui lui sont opposés par l’administration : secret médical, secret défense, de la sûreté de l’Etat et de la sécurité publique, secret de l’instruction au pénal.

Je vais me limiter au secret défense.

Le secret défense est un secret qui est opposé par l’administration à l’autre partie et au juge. En France, le secret défense est prévu par l’article L. 413-9 du code pénal qui le définit de façon très large : « Présentent un caractère de secret de la Défense nationale… les renseignements, procédés, objets, documents, données informatiques ou fichiers intéressant la Défense nationale qui ont fait l’objet de mesures de protection destinées à restreindre leur diffusion » et peu précise, puisque « peuvent faire l’objet de telles mesures les renseignements, procédés, objets, documents, données informatiques de fichiers dont la divulgation est de nature à nuire à la Défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d’un secret de la Défense nationale », assez proche selon le Conseil d’État, en termes de définition et de statut du « secret diplomatique».

Le secret défense intervient dans de nombreux domaines, dans le domaine de la Défense bien sûr, mais aussi dans les rapports entre l’État et les citoyens, dans les enquêtes publiques, contrats ou transactions techniques, commerciales ou de recherche pour des sujets concernant la Défense et parfois la sécurité civile ou encore dans des domaines tels que le nucléaire[21].

Ce secret est susceptible d’interdire tout contrôle du juge. Il est d’ailleurs invoqué très fréquemment devant les juridictions. Le secret Défense a un poids beaucoup plus important que le secret médical que je n’ai fait qu’évoquer. Il est de nature à faire obstacle au déroulement de procédures juridictionnelles basées sur le principe du contradictoire.

Même si ce sont les cas devant le juge judiciaire qui suscitent le plus l’attention des medias, la juridiction administrative a l’occasion d’être confrontée au secret de la défense nationale. Cela arrive notamment dans le contentieux des étrangers.

Le législateur est intervenu en la matière, en créant une « Commission consultative du secret de la Défense  nationale » « autorité administrative indépendante », chargée de donner un avis sur le déclassement et la communication d’informations secrètes en application des dispositions de l’article 413-9 du code pénal.

Le déclassement d’un document classé secret, ou sa communication au juge, relèvent donc désormais d’une procédure prévue par la loi [22]. Ainsi, une juridiction administrative, dans le cadre d’une procédure engagée devant elle, peut demander à l’administration chargée du secret (le ministre de la défense) le déclassement et la communication d’informations, protégées au titre du secret de la Défense nationale,. La demande du juge doit être motivée. Dans ce cas, le ministre doit saisir sans délai la Commission consultative du secret de la Défense nationale[]. C’est le président de la Commission consultative du secret de la défense nationale qui dispose du pouvoir de mener les investigations utiles. La commission émet un avis dans les deux mois : favorable, favorable à un déclassement partiel ou défavorable.[] La commission est un organe purement consultatif, mais dans la pratique, il semble que ses avis sont en majorité suivis.

On voit dans cette procédure que le secret défense constitue une sérieuse limite aux pouvoirs d’investigation du juge.

3°) La procédure contradictoire :  

J’ai parlé tout au long de cet exposé de la « procédure inquisitoriale », ainsi dénommée parce que le juge administratif, se comportant en quelque sorte en Grand Inquisiteur, mène en grande partie la procédure dans le but de procéder à l’investigation des faits. Mais parmi les règles fondamentales rappelées avec insistance de plus en plus par la jurisprudence du Conseil d’Etat en ce qui concerne l’instruction, c’est que le juge doit respecter la procédure contradictoire. On reconnaîtra sur ce point notamment l’influence de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. L’article 6 de cette convention stipule : Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement [23]. Mais il faut dire aussi que le principe du contradictoire constitue le principe cardinal de la procédure civile, pénale et administrative en France. Il est d’ailleurs consacré par le Conseil constitutionnel.

Le juge est soumis au respect du principe du contradictoire, par exemple lorsqu’une partie communique avec un mémoire un élément de fait nouveau, l’autre partie doit avoir la possibilité de s’exprimer sur cette production.

Le caractère contradictoire de la procédure permet de s’assurer de la préservation des droits de chaque partie. Son non-respect est d’ailleurs sévèrement sanctionné : ainsi, le juge de première instance peut être sanctionné par le juge d’appel ou le juge de cassation pour avoir statué sur un élément produit par exemple par l’administration dans un mémoire en défense sans que le requérant ait eu la possibilité de répliquer.

Si l’instruction dans la procédure française a un caractère inquisitoire et est menée par le juge, la nécessité du respect de la procédure contradictoire restitue un rôle important aux parties.

CONCLUSION

 

Quel regard porter sur les pouvoirs d’instruction du juge administratif français au terme de cette étude ? Ils se sont développés dans un contexte historique donné. Face à une puissante administration d’origine napoléonienne (et non garibaldienne !) est apparu progressivement un juge dit administratif, qui paradoxalement est né au sein de cette administration, mais qui s’en est émancipé pour la contraindre au respect du droit et assurer la protection des citoyens contre l’arbitraire. A cette fin, le juge administratif a posé le principe d’une procédure de type inquisitoire, dans laquelle il dirige l’instruction. Aujourd’hui, devant la complexité et la technicité croissante de la société de la fin du XXème siècle et du début du XXIème, le juge administratif français se dote de techniques d’instruction toujours plus diversifiées. Il est sollicité afin de rechercher la vérité et la transparence par les citoyens et leurs avocats , de plus en plus impatients de faire valoir des droits de plus en plus étendus vis à vis d’une administration, dont l’autorité est de plus en plus contestée. Il reste, comme on l’a vu, que ces pouvoirs d’instruction trouvent certaines limites, qui tiennent soit à la nécessité de respecter la sphère privée des citoyens, la privacy, soit à la difficulté d’accéder aux divers secrets opposés par la puissance d’Etat, qui sont en quelque sorte le noyau dur de la puissance publique. C’est à ces points précis d’articulation qui sont aujourd’hui le lieu des litiges et des conflits de société que le juge administratif doit appliquer et adapter sa dialectique traditionnelle, qui consiste à concilier la protection des droits et la défense de l’intérêt général, ce qu’il fait avec le très grand pragmatisme qui l’a toujours caractérisé.

[1] processus qui est en grande partie actionné par le juge lui-même, certes initié par une partie, avec une requête, mais dans lequel  le demandeur, ensuite,  peut ne prendre plus aucune initiative, entre l’introduction de la requête et le jugement définitif.

[2] Rappelons les faits de cette espèce (di questa fattispecie) : Un ministre refuse cinq candidatures au concours d’entrée de la prestigieuse « Ecole nationale d’administration » (E.N.A.). Quelques jours plus tard, la presse publie un communiqué d’après lequel un membre du cabinet du ministre a déclaré que le gouvernement ne voulait accepter aucun candidat communiste à l’E.N.A. Les cinq intéressés saisissent le Conseil d’État d’un recours en annulation, en soutenant que l’autorisation de concourir leur a été refusée uniquement en raison de leurs opinions politiques. Le juge administratif français considérait traditionnellement que des candidats, même s’ils remplissaient les conditions législatives et réglementaires, n’avaient pas un droit à concourir, et qu’il appartenait au ministre d’écarter, dans l’intérêt du service, ceux qu’il estimait incapables de remplir la fonction. Par l’arrêt Barel, le Conseil d’État a jugé que le ministre ne sans méconnaître le principe de l’égalité d’accès de tous les Français aux emplois et fonctions publics, écarter quelqu’un de la liste des candidats en se fondant exclusivement sur ses opinions politiques.

 

[3] La disciplina non puo essere definita come lacunosa, come in Italia. La disciplina non puo essere definita come lacunosa, come in Italia.

 

[4] le Livre VI.

[5] Je rappelle qu’en France, les juridictions administratives sont compétentes pour connaître des recours en indemnité en raison des actes médicaux intervenus dans des hôpitaux publics.

[6] Article R. 531-1 du code de justice administrative

[7] Il est établi un procès-verbal d’audition de témoins lesquels peuvent être indemnisés s’ils le demandent.

 

[8] soit l’ami de la cour, ossia l’amico della Corte, oder der Freund des Gerichts.

[9] Aux USA, l’Amicus curiae est désormais utilisé de manière systématique par des groupements d’intérêts pour donner leur avis sur une question en litige. Cette évolution, apparue devant la Cour suprême des États-Unis, se retrouve devant les mécanismes internationaux de règlement des différends sous l’impulsion des acteurs de la société civile dont l’ambition n’est pas de se mettre au service du tribunal, mais de s’imposer comme un nouvel acteur de la procédure.

 

[10] Source : code de justice administrative commenté par Daniel Chabanol, édition « Le Moniteur »

[11] Décret n°2010-164 du 22 février 2010

[12] Il y a néanmoins un problème de liaison entre le dossier de référé ainsi constitué et le dossier de fond, le code ne prévoyant pas la jonction systématique du dossier de référé et de fond et le versement systématique dans le dossier de fond des pièces produites en référé.

[13] giudice monocratico, Einzelrichter ?

[14] immobili pericolanti, aufbau bedrrohlichen Ruine ?

[15] Ancienneté requise de deux ans. En outre, il faut avoir atteint le grade de premier conseiller.

[16] Par exemple, un étranger qui sollicite un titre de séjour en France en faisant état de qui l’ont obligé à quitter son pays d’origine, peut se limiter à présenter au juge une argumentation écrite cohérente pour rendre son récit vraisemblable, sans avoir nécessairement à produire des preuves que bien souvent il n’a pas.

[17] Actori incumbit probatio

[18] C’est le cas du contentieux des travaux publics ou dans certains cas du contentieux fiscal.

[19] Pour remédier à ce déséquilibre entre les parties privées et les parties publiques quant à la production de documents administratifs, le législateur a introduit en droit français, depuis déjà assez longtemps puisque cela remonte à 1979, une procédure relative à la communication de documents administratifs.

 

 

[20] Voir CE 2 février 2010 Tremoule.

 

[21] Des enjeux nouveaux de protection de la vie privée et du droit à l’information et à l’expression sont apparus avec les nouveaux moyens de surveillance, collecte et analyse d’information. Ces enjeux ont pris encore plus d’importance dans les années 2000 à la suite d’une large diffusion des nouvelles technologies de l’information et de la communication et de l’Internet. De nombreuses questions éthiques restent posées pour l’exploitation des fichiers informatiques contenant des données personnelles, la motivation des actes administratifs, et la transparence de certaines transactions ou concernant le patrimoine des élus et hauts fonctionnaires.

 

[22] Articles L 2312-4 et suivants du code de la défense.

[23] (Ogni persona ha diritto a che la sua causa sia esaminata equamente) (Recht auf ein faires Verfahren).

squillace

Relazione francese del dott. Dubois – Verdier – Catanzaro 26/05/2017

Traduzione italiana

LE PRINCIPE DU POLLUEUR PAYEUR EN FRANCE

PRELIMINAIRES :

Care colleghe e cari colleghi,

Liebe Kolleginnen und Kollegen

Chères collègues,

1. A l’origine : un principe économique

Le principe du pollueur-payeur est apparu dans l’histoire au XIXème siècle comme un principe économique, qui consiste à faire prendre en compte par chaque acteur économique les externalités négatives de son activité. Son principe a été développé par l’économiste libéral Arthur Cecil Pigou au début des années 1920.

Ce n’est qu’un principe économique, qui signifie simplement que l’entrepreneur/pollueur doit prendre en compte, dans son calcul économique, le coût de la pollution, qui reste supporté par la collectivité. Les économistes parlent d’internalisation.

2. La consécration du principe au niveau international au XXème siècle

Le principe du pollueur-payeur va devenir au fil du temps un des principes essentiels qui fondent les politiques environnementales dans les pays développés.

– Une étape essentielle est, en juin 1992, à Rio de Janeiro (Brésil), la Conférence des Nations Unies connue sous le nom de Sommet “planète Terre”, qui a adopté une déclaration dans le domaine de l’environnement. L‘accent est mis sur deux principes  fondamentaux : le principe de précaution et le principe pollueur-payeur.

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